La construction bois déstabilisée par la pénurie
Depuis plusieurs mois, le secteur de la construction bois fait face à une tension du marché qui se traduit par une hausse des prix et des retards de livraison. Etat des lieux avec les professionnels du secteur, constructeurs, scieurs, qui doivent aujourd’hui gérer une situation inédite.

A l’image de l’acier ou des composants électroniques, la filière bois doit faire face à un marché tendu depuis la fin d’année 2020. « Cette situation est conjoncturelle et assez liée à la crise de la Covid-19. Les usines ont été contraintes de stopper leur production avant de la reprendre à des moments différents. Dans le même temps, les flux de transport maritime ont été perturbés ce qui a déséquilibré le marché mondial du bois », explique Jean-Pierre Mathé, prescripteur bois-construction chez Fibois Auvergne-Rhône-Alpes, l’interprofession de la filière bois en région. « Le confinement a vu une augmentation de la demande en bois, notamment chez les particuliers. La Chine est repartie très fort, rapidement imitée par les États-Unis, deux pays pour qui le secteur de la construction est très important. Les Américains se sont mis à acheter massivement du bois européen qu’ils étaient prêts à payer plus cher ce qui a conduit les fournisseurs européens à se réorienter très fortement vers eux au détriment de l’Europe et notamment de la France », ajoute-t-il.
Hausse des prix et retards de livraison
Conséquence immédiate de ce tour de force américain : l’augmentation du prix du bois. « En moyenne, la hausse est de 30 à 40 % sur la plupart des produits. Le mètre cube de douglas a par exemple pris plus de 80 euros en moins de six mois », confirme Alain Souchon de l’entreprise de construction Souchon Frères basée à Cherier (Loire). « Mécaniquement, tout a augmenté : le bois lui-même, le transport ou encore les couvertures. Nous sommes contraints de répercuter cette hausse des prix sur nos clients qui n’ont pas beaucoup de marges de manoeuvres avec leurs banques par rapport au budget prévisionnel défini pour la construction de leur bâtiment », ajoute Yves Trichard, président de l’entreprise de construction Poyet située à Coutouvre également dans la Loire.
Dans le même temps, et sous la pression d’une matière première qui file directement de l’autre côté de l’Atlantique, les entreprises françaises sont désormais contraintes de tourner au-delà de leurs capacités de production ce qui engendre des retards récurrents. « Cela dépend du type de chantier et du bois utilisé mais en général, entre les difficultés d’approvisionnement et la surcharge de travail à laquelle nous faisons face, il faut compter entre deux et trois mois de retard. Comme nous n’avons aucune visibilité et que les prix flambent, nous sommes aujourd’hui contraints de faire des devis plus courts, une semaine au maximum, car la situation évolue en permanence », témoigne Pierre Dumontet, responsable chez Charpente Habitat Bois à Poule-les-Écharmeaux (Rhône).
Un retour à la normale espéré pour la fin de l’année
Dans le dur, les professionnels de la construction bois font aujourd’hui de leur mieux pour gérer leurs difficultés d’approvisionnement et l’impatience légitime de leurs clients face aux retards. D’après les estimations, la situation pourrait perdurer encore plusieurs mois et revenir à la normale à la fin de l’année 2021, en même temps que l’épidémie de coronavirus pourrait également être enfin contenue. « Il ne faut pas céder au catastrophisme, cette crise se règlera avec le temps. En attendant, nous suivons l’actualité au quotidien pour savoir comment les choses évoluent », raconte Stéphane Filaire, scieur à Sembadel en Haute-Loire.
Un point de vue optimiste partagé par Jean-Pierre Mathé de Fibois Auvergne-Rhône-Alpes : « Nous pouvons espérer que les relations vont finir par se détendre et que les fournisseurs, Scandinaves notamment, décideront de se recentrer sur le marché européen dans les prochains mois ».
Pierre Garcia
Matières premières : demande forte, offre réduit
L’autre difficulté du moment, en partie liée à la crise sanitaire, c’est la hausse des prix des matières premières. Acier, mais aussi béton, bois ou même panneaux photovoltaïques, tous les matériaux de construction sont concernés et les entreprises doivent là aussi faire face. Au départ, le déclenchement de la crise sanitaire mondiale s’est traduit par une réaction de prudence de la part de producteurs qui pensaient que l’activité allait s’arrêter. Ils ont donc stoppé les laminoirs, l’extraction de minerai, toute l’origine de la chaîne conduisant à la production d’acier. Sauf que l’activité ne s’est pas arrêtée et qu’au contraire, elle se maintient à un niveau élevé de demande.
Une hausse pénalisante
Malgré la crise sanitaire, les chantiers de construction de bâtiments agricoles ont pu se poursuivre en adaptant leur fonctionnement.
Une offre réduite face à une demande forte : il n’en fallait pas plus pour faire exploser les prix, même si, pour nos professionnels du bâtiment, on ne peut totalement écarter un autre facteur : la volonté spéculative, qui joue également un rôle dans cette situation. Toujours est-il que cette hausse est très pénalisante, comme le confirme le dirigeant de Waltefaugle, une société de bâtime
nt en charpente métallique basée en Haute-Saône, qui emploie 200 personnes pour un chiffre d’affaires annuel de 48 millions d’euros, dont la moitié en bâtiments agricoles : « Elle s’est déclenchée à Noël 2020. Sans prévenir, il y a eu un emballement phénoménal des prix de l’acier, dans un premier temps. Par rapport aux prix du 15 décembre 2020, sur les profilés d’acier ou les tôles galvanisées, les hausses sont au minimum de 60 %, voire plus de 100 % dans certains cas ! En trente ans d’expérience, je n’ai jamais connu ça, et aussi rapidement puisque la hausse s’est faite sur seulement quatre mois ».
+ 42 % d’augmentation sur l’acier
La hausse des coûts de nombreuses matières premières, au premier rang desquelles figure l’acier des charpentes, a été brutale pour les entreprises.
« Sur l’acier nous avons pris 42 % d’augmentation, confirme de son côté le gérant de Crai. Pour ce qui concerne les chantiers qui étaient déjà signés, nous n’avons pas actualisé mais nous supportons le c
oût de l’augmentation. Nous n’avons cassé aucun marché, on espère juste que cet effort de notre part agira comme un investissement sur le long terme. A présent, nous ajustons nos prix en fonction de la matière. Nous sommes soumis à ces fortes hausses sans savoir où nous allons. Ce qui nous surprend, c’est l’intensité de la hausse, sa rapidité. En 2008-2009, on était arrivés à 1 000 euros la tonne d’acier, aujourd’hui, nous sommes nombreux, dans la profession, à penser que l’on va à nouveau atteindre ce niveau ».
La nécessité d’absorber la hausse des coûts de matière première sans pouvoir la répercuter sur des chantiers engagés avant qu’elle se déclenche est une donnée économique importante avec laquelle ces entreprises doivent composer : « Vis-à-vis de nos clients, précise Didier Cannac, se pose un problème financier parce que nous assumons les engagements pris au moment du devis mais sur des prix qui ne correspondent plus à la réalité, ce qui nous coûte de l’argent. On est une entreprise saine, donc on peut passer ce cap mais il y a un risque de casse dans la profession ».
Quatre mois auront suffi
La dernière fois que de telles hausses s’étaient produites sur ces matériaux, c’était avant la crise de 2009, mais elles s’étaient alors étalées sur 18 mois. Là, 4 mois auront suffi. Une brutalité qui a pris tout le monde de court. Autre problème : cette logique de hausse dure. Didier Cannac estime qu’elle va se poursuivre sur toute l’année 2021. « Il y a de la demande, renchérit-on chez Crai, tout le monde a du travail, donc il n’y a pas de raison que ça retombe, à un horizon proche, en tout cas. » Depuis mars, la hausse s’est propagée aux matériaux de couverture et de bardage, aux murs préfabriqués, aux fixations... En couverture et bardage, il y a aujourd’hui des pénuries. Il y a de grandes incertitudes sur les délais de livraison de ces matériaux. Benoît Chaudron reconnaît néanmoins que si les prix ne baissent pas, ils ont tendance à se stabiliser et n’augmentent plus de manière vertigineuse comme on l’a observé durant quatre mois. « On fait le dos rond... », conclut-il. n
B. R.