Veau rosé des montagnes de la Drôme : la filière se structure
Une quinzaine d’éleveurs drômois s’investissent pour construire une filière « veau rosé des montagnes de la Drôme ». Une association et un cahier des charges sont en place.

Depuis plusieurs années, la vente de broutards, principalement dédiés à l’export, se fait à des prix dérisoires. Par ailleurs, sans cesse frappés par la prédation lupine, des éleveurs de petits ruminants recherchent une alternative. Pour les premiers, la production de veau rosé, vendue essentiellement en direct, semble intéressante pour assurer un revenu stable. Pour les seconds, le développement d’un atelier complémentaire en bovin, espèce peu prédatée, peut permettre d’atténuer les impacts du loup. La conjugaison de ces deux options a donné naissance, en 2015, à un groupe de travail, alors animé par Jean-Pierre Chevalier, conseiller élevage à la chambre d’agriculture de la Drôme. Des essais ont été menés afin de mesurer l’influence de l’alimentation sur la conformation des animaux. Avec la disparition brutale de Jean-Pierre Chevalier, le projet a été interrompu pendant deux ans. Mais en 2018, une ingénieure stagiaire a recensé toutes les fermes produisant du veau rosé et leurs pratiques d’élevage. « Cet état des lieux a fait redémarrer le projet, raconte Nina Croizet, conseillère à la chambre d’agriculture de la Drôme, désormais en charge de ce dossier. Nous avons pu cerner les motivations et l’année suivante, en septembre, dix éleveurs sont partis à la rencontre de l’IGP veau d’Aveyron et du Ségala et de l’IGP Rosée des Pyrénées catalanes. » Cela a permis de faire avancer les réflexions des éleveurs, qui sont revenus motivés pour construire une filière drômoise.
Un cahier des charges élaboré
En décembre 2020, une étape supplémentaire a été franchie avec la création d’une association « veau rosé des montagnes de la Drôme ». Dix-neuf éleveurs adhèrent ainsi que Troupéou, atelier de découpe et de transformation de viande. Plus tard, d’autres acteurs devraient être conviés (consommateurs, collectivités, bouchers) « En nous appuyant sur l’état des lieux réalisé en 2018, nous avons beaucoup travaillé pour élaborer un cahier des charges », explique Nina Croizet. Les discussions ont abouti à la définition d’une aire géographique incluant les montagnes sèches des Baronnies et du Diois ainsi que les secteurs de Bourdeaux et Dieulefit. Le choix des races a également été acté : à viande de tradition française en intégrant des races rustiques (limousine, aubrac, gasconne…). « Contrairement au veau de lait, les veaux rosés sont élevés sous la mère toute leur vie, avec un maximum de temps passé en extérieur. C’est un cahier des charges proche du veau bio », souligne Nina Croizet. Toutes les ressources alimentaires doivent provenir de la zone géographique, à l’exception des compléments de céréales dont l’origine est Auvergne-Rhône-Alpes. L’abattage des veaux a été fixé jusqu’à l’âge de huit mois, sur les abattoirs de Die (principalement), Romans-sur-Isère et Gap.
« Développer la marque et la faire connaître »
Sur le plan commercial, les éleveurs veulent travailler en priorité avec des bouchers locaux. « D’ores et déjà, la boucherie de La Méouge achète deux veaux rosés par semaine », constate Nina Croizet. L’association n’a fixé aucun objectif de volume. « Ce qui compte, c’est de développer la marque et la faire connaître », ajoute la conseillère. Faute d’historique sur la production de veau rosé en Drôme, l’obtention d’une IGP ou d’une AOP ne semble pas envisageable. D’où l’idée d’une marque locale bien identifiable. Trois commissions - élevage, communication, commercialisation - ont été créées au sein de l’association « veau rosé des montagnes de la Drôme ». Celle consacrée à l’élevage a élaboré une grille d’agrément en s’appuyant sur le cahier des charges. Depuis mars, des visites sont effectuées en vue d’agréer les élevages. « Un projet de diagnostic carbone a également été lancé dans le but de démontrer les pratiques respectueuses et de rester ancré dans une démarche de progrès », précise Nina Croizet.
Cet automne-hiver, la commission communication va créer un logo pour la marque, assurer une présence sur internet (création d’un site vitrine) et les réseaux sociaux. Des flyers seront également imprimés et distribués sur les marchés. Enfin, l’encadrement des prix (carcasse, colis) et la prospection sont suivis par la commission commercialisation de l’association.
Des éleveurs motivés, un appui de la chambre d’agriculture, les soutiens du Département et du Suaci* Montagn’Alpes, tout est en place pour faire du veau rosé des montagnes de la Drôme une filière reconnue.
Christophe Ledoux
* Suaci : service d’utilité agricole à compétence interdépartementale.
3 Contact : Nina Croizet (tél : 07 85 05 46 23 – nina.croizet@drome.chambagri.fr).
Point de vue de Nathalie Gravier, élue chambre d’agriculture

« Pour que le projet puisse aboutir, le rôle de la chambre d’agriculture a d’abord consisté à négocier un accompagnement financier puis à structurer un groupe d’éleveurs vers un changement de pratique permettant un débouché plus rémunérateur. Notre but est de défendre l’élevage, non pas seulement pour faire beau dans le paysage ou entretenir des territoires mais bien pour avoir des exploitations qui créent du revenu. Ce projet de veau rosé des montagnes de la Drôme consiste à produire de la viande de qualité tout en gagnant un peu d’autonomie alimentaire en dégageant les animaux plus tôt, avant l’hiver. Cela devrait permettre aux éleveurs de maintenir un cheptel de reproducteurs suffisamment important pour gagner leur vie. »

Le veau rosé, une valeur ajoutée pour Cyprien Jullian
A la tête de l’exploitation L’Aubrac des Prés à Le Poët-Célard, Cyprien Jullian élève des vaches de race Aubrac en agriculture biologique. Depuis 2019, il propose du veau rosé sous la mère, symbole de bien-être animal et de viande de qualité.
Au cœur des montagnes, à Le Poët-Célard, Cyprien Jullian a repris l’exploitation familiale en 2017 pour la transformer petit à petit. A l’époque, ses grands-parents élevaient un troupeau de vaches laitières. Mais la conjoncture du lait, mêlée aux contraintes de travail, ont conduit Cyprien Jullian à changer son fusil d’épaule avec un élevage de vaches allaitantes. Il a donc acheté un troupeau souche de dix génisses de race Aubrac, afin de commercialiser sa viande sous forme de caissettes en vente directe. « Nous sommes assez nombreux à vendre de la viande sur le secteur. J’avais donc envie de proposer un produit haut de gamme. Il s’avère que la race Aubrac, très réputée pour la qualité de sa viande, est rare dans le coin. Cela m’a donc permis de me démarquer », explique l’éleveur. Très impliqué dans les sujets de sélection génétique, Cyprien Jullian a trouvé dans la race Aubrac tout ce qui correspond à ses attentes : qualité laitière et qualité bouchère. Convertie en agriculture biologique, son exploitation est conduite de manière à être 100 % autonome en termes d’alimentation pour le troupeau, grâce à une surface agricole utile de 70 hectares, dont 12 hectares de céréales (triticale, avoine, orge, épeautre) et des zones de pâturage. « Les animaux sont nourris tout au long de l’année avec les produits de la ferme. Ils passent la majeure partie de l’année aux pâturages. En hiver, le troupeau est nourri avec du foin et de la farine préparée par nos soins grâce à un broyeur », ajoute-t-il. Grâce à cette production de nourriture, Cyprien Jullian propose également une activité de pension de chevaux pour valoriser les pâturages éloignés.
Une valorisation intéressante
Depuis 2019, en guise de valeur ajoutée, Cyprien Jullian s’est engagé dans la filière « veau rosé ». Président de l’association « veau rosé des montagnes de la Drôme » créée en décembre 2020, il produit aujourd’hui douze veaux rosés par an, soit 1,5 tonne de viande. Ce choix est apparu comme une évidence pour lui. « Le veau rosé correspond à une démarche qualité, semblable au veau bio. L’élevage de ce veau sous la mère, jusqu’à l’âge de 7 ou 8 mois, associe un certain nombre de critères. Grâce à une phase de croissance plus longue par rapport à un veau « classique », il permet non seulement de valoriser au mieux la lactation de la mère mais aussi la sortie au pâturage », explique Cyprien Jullian. Contrairement aux idées reçues, le fait de mener un veau aussi longtemps n’est pas forcément plus coûteux pour l’éleveur. « Au contraire, le veau rosé est intéressant en termes de rendement de viande, puisque cela représente environ 60 à 70 % du poids carcasse », prévient-il. Après abattage à Die, les bêtes sont transportées par camion frigorifique au sein de l’atelier de découpe et de transformation Troupeou, situé à quelques centaines de mètres de l’exploitation L’Aubrac des Prés. « La société me loue ensuite une salle d’emballage pour constituer mes colis, caissettes, etc. ». Cyprien Jullian commercialise ses produits directement à la ferme, ou en livraison. A terme, il entend se rapprocher des magasins de producteurs pour écouler ses produits. Mais l’agriculteur et ses collègues engagés dans cette démarche de veau rosé doivent encore travailler sur l’aspect valorisation et commercialisation du produit. « Les consommateurs, comme les professionnels, ne connaissent pas encore très bien ce produit. C’est à nous de bien diffuser son image qualité », explique-t-il. Pour cela, l’association « veau rosé des montagnes de la Drôme » a pour ambition d’organiser des journées dégustation ou de participer à des foires et salons pour faire découvrir la marque.