Le Picodon est « sorti la tête haute de la crise »
Le syndicat du Picodon AOP a réuni ses adhérents le 17 juin à Hauterives. Au programme : le bilan d’une année marquée par la crise du Covid, au cours de laquelle le Picodon a su trouver sa clientèle. Et des inquiétudes, notamment sur l’évolution prévue des plans de contrôle et la mise en place du Nutri-Score.

En 2020, la production de Picodon a atteint 538 tonnes [534 en 2019], soit un peu plus de 9 millions de fromages. Les volumes sont en croissance régulière depuis 2010 mais paradoxalement le nombre d’opérateurs s’est fortement réduit. Ils sont aujourd’hui moins de 160 (lire détail ci-dessous), contre 238 dix ans auparavant. Heureusement la crise du Covid n’a pas fragilisé davantage la filière. Le Picodon a bénéficié de l’engouement des consommateurs pour les produits locaux, ainsi que d’une saison touristique qualifiée de « généreuse » par la présidente du syndicat Karine Mourier-Duvignaud, productrice fermière à Préaux en Ardèche. « Cette crise a amené nos concitoyens à se poser des questions sur l’autonomie de leur territoire et à se mettre en quête de ressources alimentaires locales. En cela, le Picodon AOP est une réponse adaptée et la filière est sortie la tête haute de cette crise », a affirmé la présidente.
Progression des volumes et des prix
La production a progressé mais également le prix moyen constaté par l’observatoire des marchés1. En 2020, le Picodon s’est vendu 38,18 euros le kilo en moyenne, soit 6,7 % de plus qu’en 2019. L’amplitude de prix reste importante entre les rayons en libre-service des GMS, qui représentent les plus gros volumes, où le Picodon se vend 21,65 euros en moyenne, et les crémeries et marchés où le Picodon se situe entre 40 et 50 euros le kilo. « 2020 ne peut pas être considérée comme une année de référence, au vu des contraintes et des bouleversements occasionnés par la Covid-19 tant pour les producteurs que les consommateurs, avertit le syndicat. Cependant, si l’on met en perspectives ces données avec celles de la production (+ 3 tonnes en 2020), on peut se féliciter de la réactivité, l’organisation et la mutualisation de ressources dont a fait preuve la filière. » Le syndicat a dû par ailleurs redoubler de vigilance avec le développement de la vente en ligne. Une veille spécifique a été organisée pour chasser les mentions « fromage type Picodon » que l’on retrouvait parfois sur certains sites de e-commerce.
Augmentation des contrôles externes en 2023
Il a également été question de l’évolution des plans de contrôle. « L’Europe et la direction générale de la santé (DGS) souhaite renforcer les contrôles externes autour des signes de qualité », a rappelé Alicia Teinturier, animatrice du syndicat. Dès 2023, la fréquence de contrôles par un organisme extérieur devrait fortement augmenter. A titre d’exemple, à ce jour, 20 % des producteurs de lait sont contrôlés en interne par le syndicat et 2 % en externe par Qualisud. Une proportion de contrôles externes qui devrait passer à 10 % selon les nouvelles exigences de l’Europe et de la DGS, sans que ne soit, pour l’instant, clairement précisé si la fréquence des contrôles internes pourra diminuer. Autre point qui suscite la colère des producteurs : la part des contrôles externes « sans préavis » serait également revue à la hausse. « Ce sont des dispositions qui ne sont pas adaptées à nos petits syndicats, à nos producteurs fermiers, laitiers et à nos entreprises », a déploré Olivier Moyersoen, producteur et affineur dans le Sud-Ardèche et membre du conseil d’administration du syndicat. D’abord parce que les ODG2 vont devoir prendre en charge le coût de ces contrôles externes alors qu’ils rencontrent déjà de grosses difficultés pour financer leur propre fonctionnement, a-t-il souligné. Ensuite, parce que ces mesures risquent de décourager de nouveaux opérateurs d’entrer dans l’AOP. Malgré les remarques exprimées lors de cette assemblée générale, le processus est en route. Dans les semaines à venir, le syndicat du Picodon devra définir les nouvelles fréquences de contrôle qui seront appliquées dès 2023 et s’il souhaite ou non mettre en place des contrôles ciblés. Ceux-ci permettraient de réduire la durée des contrôles inopinés externes qui ne porteraient alors que sur une série de points « sensibles » préalablement définis.
Le Nutri-Score inadapté aux fromages AOP
Autre sujet d’inquiétude pour le syndicat : le déploiement du Nutri-Score. Cet étiquetage mis en place à l’échelle européenne vise à informer le consommateur des qualités nutritionnelles des aliments transformés, sur une échelle de A à E, A étant le score le plus sain, E le moins sain. Or, le mode de calcul classe près de 93 % des fromages AOP et IGP en catégorie D et 6 % en E, a rappelé Karine Mourier-Duvignaud. « L’apposition d’un logo Nutri-Score D ou E sur des fromages AOP ou IGP pourrait laisser penser que ce ne sont pas des produits de qualité, ce qui est contradictoire avec la définition même de ces labels », a-t-elle signalé dans un courrier adressé aux députés drômois et ardéchois. Elle alerte par ailleurs sur le fait que Santé Publique France préconise d’interdire la publicité sur les aliments notés D et E. « Une décision qui reviendrait à interdire toute promotion des fromages sous AOP ou IGP », déplore-t-elle. La filière plaide donc pour que ces fromages soient exemptés de l’étiquetage Nutri-Score. D’autant que leur fabrication est encadrée par un cahier des charges très strict qui ne laisse pas la possibilité de reformuler le produit pour obtenir une meilleure note dans le cadre de cet étiquetage nutritionnel. En résumé, pas question de soumettre les produits du terroir à des règles établies pour l’industrie agroalimentaire moderne.
Sophie Sabot
1 Action commune des « plans filière » bovin lait et caprin-ovin lait. Elle permet de réaliser un état des lieux des prix et de la présence des fromages AOP à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes et d’identifier les éventuelles usurpations.
2 ODG : organisme de défense et de gestion de l’AOP comme le syndicat du Picodon.
Les opérateurs du Picodon en 2020

- 61 producteurs fermiers, dont 32 en Drôme et 29 en Ardèche ;
- 5 entreprises privées, dont 3 en Drôme qui collectent le lait de 39 exploitations (dont 4 mixtes fromagers / laitiers) et 2 en Ardèche pour 12 exploitations;
- une coopérative qui collecte 26 exploitations en Drôme ;
- trois affineurs qui réunissent au total 15 producteurs exclusivement livreurs et 29 producteurs mixtes.
Au total : 158 adhérents pour le syndicat du Picodon AOP. A noter, l’an dernier huit nouveaux opérateurs ont été habilités (trois producteurs laitiers et cinq fermiers) et 19 ont quitté l’AOP (onze laitiers et huit fermiers).
Changement climatique / La filière Picodon va devoir s’adapter

A l’issue de l’assemblée générale, Jean-Pierre Manteaux et Emmanuel Forel, conseillers spécialisés sur les ressources fourragères pour les chambres d’agriculture de Drôme et d’Ardèche, ont livré un aperçu des évolutions climatiques en cours et à venir et des conséquences possibles pour les systèmes d’élevage en AOP Picodon. Les données présentées s’appuient sur les projections climatiques établies pour la Drôme et l’Ardèche grâce à l’outil Clima-XXI développé par les chambres d’agriculture. Que l’on se situe dans le sud de l’Ardèche, le Nord-Drôme ou encore dans les zones de montagne de ces deux départements, certaines tendances sont désormais actées : forte augmentation des températures, du nombre de jours de canicule, du déficit hydrique en période estivale, concentration des précipitations à l’automne... Les systèmes fourragers vont devoir évoluer pour introduire des espèces résistantes au sec et adaptées au comportement des chèvres. Des travaux ont déjà été menés depuis plusieurs années par les chambres d’agriculture (méteils, prairies multi-espèces, sorgho mono-coupe, dérobées d’été….) et de nouvelles expérimentations se poursuivent, comme le programme « sécu-fourrage » lancé cette année sur une double culture méteil + sorgho multi-coupes.
A noter également, le syndicat du Picodon, la station du Pradel et la chambre d’agriculture de la Drôme pourraient participer au programme Adaopt, sur l’adaptation au changement climatique des AOP fromagères. Ce projet est porté par le Cnaol et l’Idele (institut de l’élevage). Il vise notamment à réaliser un état des lieux du potentiel fourrager de la zone AOP et analyser les conséquences de certains leviers techniques (changement d’espèces dans l’alimentation des chèvres par exemple) sur les fromages. Si ce projet Adaopt est sélectionné pour bénéficier des financements Casdar*, il démarrera dès 2022.
S.S.
* Casdar : Compte d'affection spécial au développement agricole et rural, alimenté par une taxe payée par les agriculteurs sur leur chiffre d'affaires.