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ARTISANAT

Fondu de cloches ! 

Installé depuis peu dans le Cantal, Nicolas Schweiger y a retrouvé des airs de sa Suisse natale, mais surtout des vaches pour lesquelles il conçoit des cloches.

Fondu de cloches ! 
©PO
Nicolas Schweiger devient le sixième fondeur tricolore de cloches pour bétail, le seul de toute l’Auvergne et du Massif central.

On ne les comptait plus que sur les doigts d’une main en France, les fondeurs artisanaux de cloches pour animaux, un métier qui s’est perdu au fil des décennies dans les vallées des terres d’alpage et d’estive. Mais bientôt, Nicolas Schweiger va ajouter son nom à cette short list en devenant le sixième fondeur tricolore de cloches pour bétail, le seul de toute l’Auvergne et du Massif central, basé à Marmanhac dans le Cantal. Une passion et un métier auxquels rien ne prédestinait celui qui a grandi dans le Jura... suisse. « Mais j’ai toujours aimé joué avec le feu », sourit-il jonglant entre français et allemand au fil de la discussion. Et au bout de cinq jours seulement d’apprentissage, après avoir fondu son premier moule, à 19 ans la flamme s’allume.

Une flamme internationale 

Fondeur-mouleur certifié, il fera d’ailleurs partie de la dernière promotion formée au métier dans le Jura suisse. C’est d’abord dans le secteur industriel qu’il s’aguerrit, dans une usine de prototypes d’où sortent des turbines à gaz, des caissons pour centrales nucléaires..., des pièces mobilisant de 5 à 25 tonnes d’acier. Rien à voir avec sa production artisanale actuelle, faite de cloches en bronze n’excédant pas 1,6 kg. Après son service militaire, il intègre une autre fonderie d’aluminium qui coule aussi bien des pièces de moteurs V12 de chars que ceux de vieux coucous ailés. Changement de décor, Nicolas Schweiger rejoint ensuite une fonderie d’art où son travail, minutieux, donne corps aux plis subtils d’un habit, au mouvement d’une chevelure... grâce à une technique de fonte à la cire. Un petit air de Jura suisse... Mais son âme de globe-trotter le fait sortir du moule et d’un métier qui ne suffit pas à nourrir son homme. Nicolas parcourt le monde, avec son sac à dos comme seul bagage, mais ses compétences techniques plurielles et sa polyvalence en bandoulière, il évolue dans l’univers circassien en Europe, au Mexique, à La Réunion... puis à la logistique de festivals. Sa maîtrise de quatre langues - allemand, français, anglais, espagnol et des bases d’arabe apprises auprès de berbères marocains lors de la Covid - sont un précieux atout. Le hasard des rencontres le conduit sur le chemin de Compostelle et dans le Cantal à un moment où il ressent le besoin de poser ses valises. Pourquoi ce département ? « Par que ça me rappelle le Jura suisse et puis j’ai regardé, dans un rayon de 200 km, entre Cantal, Corrèze et Aveyron, il y un million et demi de vaches ! » et potentiellement autant d’encolures à faire sonner. 

100 % tricolores 

Mais ses ambitions sont bien plus modestes : d’abord parfaire sa technique, lui qui a débuté il y a quelques semaines à peine à couler ses premières pièces dans un atelier sommaire qu’il a entièrement aménagé et équipé seul, faisant appel au système D pour des raisons économiques. Son four de fusion, il l’a conçu en convertissant une bonbonne de gaz, idem pour les caissons et cadres destinés à l’élaboration des moules en sable des cloches : du fait maison tout comme les lettres qui peuvent venir orner ses productions. Sa matière première : 100 % tricolore, puisque le fondeur achète son sable minéral en région parisienne, son charbon à Auvergne Carburants... tandis que le bronze de ses cloches est issu de la fonte de pièces diverses (poignées de porte, lustres...) recyclées, récupérées de ci, de là, ainsi qu’à Emmaüs. Nicolas Schweiger, qui réalise ses moules en silicone pour les décorations sur les imprimantes 3D de Fablab locaux, milite pour un circuit ultra court et circulaire. Des cloches faites pour durer, de qualité et par dessus tout, robustes, en visant le juste compromis entre poids et robustesse. « Je produis toujours pour que ça me survive ! Mes cloches sont garanties à vie » affiche le fondeur de clarines, de clarines et non de sonnailles en tôle d’acier bien moins durables. Sa première cloche, l’artisan marmanhacois l’a réalisée pour un chasseur soucieux de ne pas perdre son chien, les suivantes le seront pour des agriculteurs mais aussi, pourquoi pas, de plus petites cloches destinées aux sites touristiques. À la recherche d’un atelier plus spacieux, Nicolas Schweiger nourrit un autre projet qui lui tient à cœur : transmettre son savoir via des ateliers pour scolaires et/ou des stages pour adultes. Un savoir-faire précieux pour qu’estives et alpages continuent de résonner de cette mélodie ancestrale. 

Patricia Olivieri 

Les premières cloches à vaches sont apparues il y a 2 500 ans. Leur matériau de conception, leur forme ou bien encore leur taille ont cependant varié tout au long de l’histoire mais pas leur vocation : permettre aux éleveurs de retrouver plus facilement leurs animaux quand certains se sont égarés ou de les repérer par temps de brouillard. Des GPS avant l’heure ! Elles auraient aussi eu un rôle de repoussoir vis-à-vis des prédateurs et notamment du loup. 
Des croyances racontent  qu’elles font fuir serpents, orages ou encore le mauvais sort... Au XXIe siècle, les cloches continuent de faire partie du patrimoine de l’agriculture de montagne, associées notamment aux fêtes qui y sont liées.

Dans l’atelier de Vulcain

Dans l’atelier de Vulcain
©PO
Une cloche unique fondue pour L’Union du Cantal.

Fondeur-mouleur dans l’industrie, le néo-Cantalien décline sa technique à la fabrication traditionnelle de cloches à bétail.
Ici chaque cloche est unique, fruit en moyenne d’une journée de travail dans une atmosphère surchauffée près du four, mais solitaire et de haute précision dans l’atelier attenant. Tout débute par la confection d’un premier moule en sable tassé dans un caisson autour d’un modèle pour la partie extérieure de la future cloche. Puis d’un second, en négatif sur un autre cadre, non sans avoir prévu l’encoche nécessaire à accueillir l’anse de la cloche. Une fois les deux moules parfaitement superposés au millimètre près - l’étape la plus minutieuse et délicate -  le métal en fusion (porté à 1 288°C) est coulé dans les interstices laissés en surface et remplit l’espace entre les deux moules. 
À chacune son son 
Une vingtaine de minutes plus tard, le bronze a suffisamment refroidi pour détacher les deux cadres et laisser émerger la cloche encore brute. Suit alors le travail d’ébavurage sur le tour à métaux cinquantenaire, récupéré par l’artisan. Une étape nécessaire pour enlever les impuretés et polir les surfaces intérieure et extérieure, cette dernière pouvant être ornée de décorations diverses à la demande. Le travail, l’épaisseur et la forme de la cloche, la position du battant... vont procurer à chacune un son différent, les plus grosses donnant un son plus creux. Comptez 250 € pour un cloche brute, jusqu’à 300 € avec décoration. Les plus petits modèles sont accessibles à 150 € bruts (200 € décorés).