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PORTRAIT

À la Ferme  des Roussets, le pari du collectif

Figure émergente dans le monde agricole, les exploitations partagées se multiplient en France. À Saint-Jean-en-Royans, la Ferme des Roussets est l’une d’entre elle. Elle fête cette année son dixième anniversaire.

À la Ferme  des Roussets, le pari du collectif
Le collectif a développé plusieurs ateliers avec deux paysans-boulangers, deux - et bientôt trois - maraîchers, un apiculteur, un ânier présent ponctuellement, et un espace culturel actif toute l’année. ©AD_PDeDeus

Comme chaque jour, Annabel, Anthony, Arnaud, Nicolas et Fanny déjeunent ensemble dans la cuisine. Autour de la table, les débats vont bon train. « On est un Gaec comme les autres. Je ne vois pas quelle différence ça fait », lance Arnaud, quand on l’interroge sur l’aspect collectif de la ferme. En se servant dans la grande poêle de légumes préparés par Anthony, Nicolas manifeste son désaccord : « On sort du modèle familial classique. Le rapport aux associés et l’organisation du travail ne sont certainement pas les mêmes. »
Ici, tous sont des néo-paysans, non issus de famille d’agriculteurs. Nicolas, en l’occurrence, était développeur avant de changer de vie. C’est une formation au sein du réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires (Repas) qui lui a donné envie de s’installer en agriculture et c’est aussi là qu’il a rencontré ses comparses. « C’est une expérience de vie qui nous a permis de nous questionner et c’est aussi ce qui nous a liés », retrace Nicolas.

Dans la profession, l’accueil est mitigé

Attirés par la campagne, les six amis s’installent en colocation à Romans-sur-Isère pour se former et trouver un lieu pour créer leur ferme. Au sein de la profession agricole, l’accueil est mitigé. « Annabel a parfois dû faire face à des comportements sexistes et notre projet n’était pas vraiment pris au sérieux jusqu’à ce qu’on ait des dotations jeunes agriculteurs », se souvient Nicolas. Le hasard va finalement jouer en leur faveur en mettant sur leur chemin, Rosalie et Jean-Paul Liothin. Le couple est producteur de fromages de chèvre à Saint-Jean-en-Royans et cherche à transmettre son exploitation. Le courant passe immédiatement et le projet de ferme collective commence à se concrétiser.
« On a dû abandonner l’idée de vivre sur place car il n’y avait pas d’habitation », regrette Nicolas. Une concession nécessaire pour limiter le prix de l’acquisition, alors que les banques sont parfois frileuses face aux exploitations collectives. « Au départ, on ne pensait pas qu’on pourrait réunir la somme. On imaginait créer une SCI [société civile immobilière] pour faciliter l’achat, mais ça n’a pas été nécessaire », précise encore Nicolas. Entre apports des associés, prêt à taux zéro et apports avec droit de reprise, l’association La ferme des Roussets devient finalement propriétaire des lieux en octobre 2014.

Le choix de la diversité

Dix ans plus tard, l’association est toujours là et le projet est un succès. À partir de ces 1 000 m² de bâtiments et ses quelque 500 m² de hangar, le collectif a développé plusieurs ateliers avec deux paysans-boulangers, deux - et bientôt trois - maraîchers, un apiculteur, un ânier présent ponctuellement, et un espace culturel actif toute l’année. Parmi les six initiateurs de cette ferme, ils ne sont plus que deux, mais d’autres personnes sont venues les rejoindre. Et si les visages changent, la raison d’être de la Ferme des Roussets reste la même : défendre une agriculture durable, un travail collectif épanouissant et transmettre ce modèle par l’accueil de stagiaires ou de woofeurs - bénévoles venus découvrir l’agriculture. 
Certaines idées ont toutefois été abandonnées ou transformées pour privilégier la partie agricole. Les visites pédagogiques ont notamment été mises sur pause et le volet culturel a dû être repensé, faute de rentabilité. Née avant la création de la ferme, l’association Batotopie est désormais portée exclusivement par des bénévoles. Tout au long de l’année, dans l’ancienne grange, ils organisent des ateliers chant, danses, yoga, des spectacles, des concerts, sans oublier la buvette les vendredis, jour de marché à la ferme.

19 ha de terres cultivées

Autour de la bâtisse, les quelques champs de plaine entourés par les contreforts du Vercors sont essentiellement occupés par des céréales. Sur les 19 ha de terre cultivés intégralement en agriculture biologique, le maraîchage n’occupe qu’un hectare. Une production dense et diversifiée, avec 40 types de légumes accompagnés de petits fruits. « On pioche des techniques à droite à gauche, explique Annabel. On s’inspire notamment du modèle de sol vivant développé par Jean-Martin Fortier. » Le reste de la surface est réservé au blé, au seigle, au petit épeautre, ainsi qu’aux pois-chiches et à la luzerne pour enrichir les sols. Depuis quelques années, les paysans-boulangers testent également les trèfles, implantés au printemps dans les céréales.
Aujourd’hui, la ferme partagée a trouvé son équilibre. La vie collective leur permet de s’offrir des week-ends et cinq semaines de congés par an. Côté finances, les associés du Gaec se rémunèrent 900 euros par mois, le reste étant dédié à la trésorerie. Des loyers sont aussi versés à l’association La ferme des Roussets pour couvrir ses frais de fonctionnement et aider à la réfection des bâtiments. Prochainement, un espace devrait notamment être rénové en chambre froide et une nouvelle serre installée. 

La gestion du groupe

Depuis dix ans, ce projet agricole est une expérience collective hors du commun. Alors que les fermes partagées se heurtent souvent au facteur humain, les membres de la Ferme des Roussets ont décidé de se former pour anticiper les difficultés. « Avant et après l’installation, on a rencontré un sociologue de groupe pour acquérir des connaissances théoriques sur ce sujet, précise Nicolas. Et encore aujourd’hui, quand on voit qu’on n’arrive plus à avancer, on fait appel à une personne extérieure. » Des réunions régulières sont également organisées et le fonctionnement global est régi par une charte. « Je ne dirais pas qu’on est des experts dans le domaine, mais on a développé une certaine sensibilité sur ces sujets, assure Nicolas. Ne pas se couper la parole, être attentif aux émotions des autres… Ça peut paraître simple, mais c’est essentiel à la vie du groupe ! »

Pauline De Deus