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Aux Jardins du Treille, les exploitants programment l’irrigation des cultures 

Dans un contexte de changement climatique et de raréfaction des ressources en eau, la gestion efficace de l’irrigation est devenue primordiale pour les agriculteurs. Les Jardins du Treille ont accueilli une journée technique dédiée au maraîchage bio. L’un des ateliers proposés tournait autour de cette thématique.

Aux Jardins du Treille, les exploitants programment l’irrigation des cultures 
Pour appuyer ses explications, Rémi Lambert a emmené son groupe dans les serres, leur montrant les modules GSM connectés. ©ABP

Le 15 octobre, les Jardins du Treille ont accueilli une journée dédiée au maraîchage biologique, organisée par Agribio et les chambres d’agriculture du Rhône et de la Loire. Cet événement a réuni une trentaine de maraîchers des deux départements, ainsi que des élèves du lycée de Chervé (Loire). Quatre ateliers thématiques ont rythmé l’après-midi. L’un d’eux était animé par Rémi Lambert, l’un des associés, expert de la gestion de l’eau sur l’exploitation de Maringes. Il a présenté un outil de planification de l’irrigation, destiné à maximiser l’utilisation des ressources hydriques dont dispose la ferme.
Pour arroser leurs cultures, les associés du Jardin du Treille peuvent s’appuyer sur deux retenues collinaires et communicantes : l’une de 5 000 m³ et l’autre de 12 000 m³, bien que cette dernière présente une perte d’environ 3 000 litres d’eau non utilisable, l’eau qui s’y accumule est souvent de moins bonne qualité, notamment en raison de la présence de boues. Toutes deux sont alimentées par ruissellement et non par forage. Comme le résume Rémi Lambert, « il faut qu’il pleuve ». En effet, la stratégie d’irrigation doit s’adapter aux réalités climatiques, car l’exploitation ne prélève pas d’eau du réseau public. Les associés estiment leurs besoins annuels en eau à 24 000 m³. La gestion des retenues est donc cruciale, surtout en période de sécheresse. Un constat fait en 2022. « On ne pouvait plus arroser, on n’avait plus d’eau », se rappelle amèrement Rémi Lambert. Mais la crise s’est avérée source de réflexion. « On s’est demandé comment planifier notre gestion de cette ressource ». Une organisation comparée à un budget, mais au lieu d’argent, ce sont des litres qui sont comptés, relevés et intégrés dans un tableur que l’agriculteur a mis en place. Il rassure d’un geste son auditoire : « si le créer n’a pas été facile, le gérer l’est ». Autrement dit, ses associés peuvent se servir de l’outil sans lui.

Jongler entre théorie et pratique    

Avant la période estivale, les cinq associés prennent toujours le temps de faire le point sur leur situation hydrique. « Si, à ce moment-là, on analyse que les 14 000 litres d’eau disponibles dans les retenues ne sont pas suffisants, c’est que nous avons trop de cultures. » Un constat sans appel qui conduit les agriculteurs à se raisonner : « il faut faire des choix en amont pour bien gérer les sécheresses. Si on les prend au 15 août, peu importent les décisions, elles seront toujours mauvaises ». Le spécialiste met les participants de son groupe à contribution : « d’après vous, quelle culture pouvons-nous sacrifier en début d’été ? » La langue n’est pas donnée au chat, mais presque. « Les carottes, lance-t-il. À cette période-là, un hectare de carottes, c’est cinq heures de tracteur. Après, quand on a commencé à désherber à la main, c’est impossible d’abandonner, ça nous coûterait trop cher ». Mais avant d’en arriver à ces extrêmes, Rémi Lambert essaie de jouer sur les variétés. « Par exemple, cette année, on a fait que des carottes de cycle court. » Pour planifier efficacement, les agriculteurs doivent prendre en compte l’évapotranspiration potentielle (ETP) et les coefficients spécifiques à chaque culture. Ce processus, mêlant théorie et pratique, nécessite des visites régulières des parcelles pour ajuster les besoins. « Parfois, la théorie ne marche pas et on a besoin de contrôler avec la pratique », affirme Rémi. Ainsi, des outils simples, comme des piquets pour mesurer le niveau d’eau dans les retenues, sont mis en place pour une gestion précise.

Objectif : « tomber à zéro »

L’outil de programmation développé par Rémi est un tableur Excel qui permet de suivre le volume d’eau consommé par semaine, s’ajustant au fur et à mesure de l’année. La planification commence en semaine 14 (début avril) et se termine vers la semaine 42 (mi-octobre), avec pour objectif de « tomber à zéro » à la fin de la période d’irrigation. Tous les quinze jours, l’agriculteur descend vérifier l’état des retenues pour assurer un suivi rigoureux. L’irrigation ne concerne pas uniquement la sécheresse, les excès de pluie doivent également être gérés. « En dessous de 20 mm de pluie, on ne bouge pas et au-delà, on coupe l’arrosage », précise l’agriculteur. Sous les serres, un module GSM (boîtier électronique muni d’une carte SIM, qui se connecte au réseau téléphonique comme un téléphone portable) relié à la pompe, envoie des alertes en cas de changement climatique, permettant une réaction rapide. Cela permet aux agriculteurs de gérer leur système d’irrigation de manière proactive, même à distance.
La surveillance de l’humidité des sols est cruciale pour une gestion réussie. Rémi Lambert consacre deux heures par semaine à cette tâche, ce qui lui permet de recueillir des données sur l’état des cultures. Cette observation régulière n’est pas seulement utile pour la gestion de l’eau, elle permet également d’identifier des problèmes avant qu’ils ne deviennent critiques.
La gestion de l’eau nécessite une approche réfléchie pour son apport. Les méthodes d’irrigation doivent être adaptées en fonction des conditions sanitaires, et le fractionnement de l’eau doit être optimisé pour éviter la création d’environnements trop humides, propices aux maladies. La planification est donc complexe, nécessitant une évaluation précise des besoins en eau de chaque culture. 

Alexandra Blanchard-Pacrot
 

Les Jardins du Treille,  un parcours étonnant 

Le Gaec Les Jardins du Treille, créé en janvier 2015, constitue une évolution de l’exploitation familiale Rivoire. Située à Maringes, dans les monts du Lyonnais, entre Chazelles-sur-Lyon et Bellegarde-en-Forez, cette exploitation en bio depuis 2009 s’étend sur 30 hectares, offrant un cadre idéal pour la production de légumes, de plantes aromatiques et de fruits rouges, notamment les fraises. 
Les Jardins du Treille sont composés de : 12 hectares de prairies naturelles, dont une partie est boisée, accueillant des animaux d’élevage et contribuant ainsi à l’équilibre écologique de l’exploitation ; 2 hectares de prairies temporaires, cultivées sur une durée de deux ans, qui permettent de réaliser une rotation des terres avec les légumes, essentielle pour maintenir la fertilité du sol et limiter les maladies ; 10 hectares de maraîchage, comprenant à la fois des cultures en plein champ et 16 serres non chauffées, totalisant une superficie de 7 000 m².
L’exploitation se distingue par la diversité de ses cultures. Sur environ 10 hectares, elle produit principalement des légumes et des plantes aromatiques. Cette variété permet de répondre aux attentes des consommateurs, mais aussi de favoriser la biodiversité au sein des terres cultivées.
Cinq agriculteurs sont associés au sein du Gaec : Marc Rivoire, agriculteur passionné, s’est installé à 22 ans en 1987 ; Joffrey Murgue a intégré l’entreprise en 2009, à 18 ans, en tant qu’apprenti, avant de se lancer dans l’aventure et de co-fonder Les Jardins du Treille ; Benoît Chabanne les a rejoints après une reconversion professionnelle en janvier 2021, imité en 2023 par Rémi Lambert et Sullyvan Rivière.                                       A.B.-P.

Après trois ans de maraîchage  sur sol vivant, un bilan nuancé

Après trois ans de maraîchage  sur sol vivant, un bilan nuancé
©A.B.-P.

En 2022, les Jardins du Treille font le choix de passer une de leurs serres en maraîchage sur sol vivant (MSV). Entre difficultés et résultats probants, le bilan est mitigé. En 2022, les associés des Jardins du Treille profitent de l’arrivée de Rémi Lambert (lire par ailleurs) pour se lancer dans un nouveau projet : planter des cultures en maraîchage sur sol vivant (MSV). Une initiative que les agriculteurs choisissent de concentrer sous une seule serre. Les objectifs affichés sont clairs : améliorer la qualité de vie du sol, réduire le temps de travail du sol sans en augmenter la pénibilité et vérifier la viabilité économique du projet.
Pour amorcer ce changement, 120 tonnes de fumier par hectare ont été incorporées, accompagnées de 150 tonnes de broyats de trois mois, formant une couche d’environ 10 cm. Mi-mars, les semis de courgettes, melons et haricots grimpants étaient effectués. Cependant, la première année a révélé un défi inattendu : le temps de plantation était deux fois supérieur à celui des méthodes traditionnelles puisque les maraîchers ont dû aller chercher le sol sous la couche installée. La clé du succès résidait dans la levée des graines et l’établissement des racines, nécessitant un arrosage quotidien pour les tomates et les haricots. Malgré ces difficultés initiales, une fois que les cultures se sont établies, elles se sont révélées magnifiques.
Peu d’effets agronomiques constatés
Après trois ans d’expérience, le sol a été analysé et comparé avec les autres serres. Le résultat est identique. En conclusion, peu d’effets agronomiques, et besoin de deux fois plus de temps pour la plantation. En revanche, en cours de culture, les agriculteurs pensent qu’ils ont eu moins besoin d’arroser.
Un des mystères demeure : « On ne sait pas où sont passées les 300 tonnes de matières organiques qu’on a étalées en trois ans », déclare Joffrey Murgue, associé aux Jardins du Treille, qui livre une conclusion sans appel : avec la même productivité et le même rendement qu’une serre classique, le MSV ne lui paraît pas développable sur de grandes surfaces. 
A.B.-P.