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Première guerre mondiale

Femmes debout pendant la guerre de 14 -18

A l'occasion du centenaire de la Grande guerre, de nombreux témoignages écrits ont été exploités pour éclairer d'un angle nouveau les conditions de vie pendant le conflit. Ils permettent notamment de refléter la vision des femmes, pilier de l'effort de guerre et moteur de l'économie, en l'absence des hommes mobilisés au front.
Femmes debout pendant la guerre de 14 -18

Encore aujourd'hui, lorsque l'on évoque 1914-1918, les premiers mots qui viennent à l'esprit sont poilus, tranchées, combats et autres noms de batailles. Mais très peu de termes pour désigner le rôle et la participation des femmes durant cette période, pourtant essentiel.

L'appel de René Viviani

Vers seize heures, ce samedi 1er août 1914, dans les villes et les campagnes sonne le tocsin pour annoncer l'ordre de la mobilisation générale. Dans chaque maison, les hommes préparent leurs affaires, cherchent leur livret militaire. Les larmes aux yeux, en proie à l'inquiétude, les femmes promettent de prendre soin des enfants, du foyer. En quelques heures, la France devient une immense gare dans laquelle se séparent des millions de couples et de familles. Pour René Viviani, président du Conseil, « cette guerre devrait être courte ». Dès le 2 août, il lance un appel aux paysannes françaises, les exhortant à achever les moissons. Les bœufs et les chevaux réquisitionnés, elles n'ont pour seule aide que les enfants, les personnes âgées et parfois la main-d'œuvre étrangère. « Debout donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ».

Bœufs et chevaux réquisitionnés, les femmes s’organisent comme elles peuvent.

Rentrez les récoltes

Les premières récoltes rentrées, les femmes s'attellent à d'autres tâches, investissant des secteurs jusqu'alors réservés aux hommes. Leur entrée massive dans le monde du travail est la conséquence d'une double nécessité : subvenir aux besoins du foyer, en l'absence du salaire d'un père, d'un mari ; et participer à l'effort de guerre demandé par l'État et soutenir ainsi père, frère, époux, fils, cousin et neveu. Tandis que des femmes dirigent les exploitations agricoles, dans les usines et les ateliers d'autres fabriquent des armes, des gaz, des avions. Dans les transports, elles conduisent et réparent les tramways et les trains. Elles livrent le charbon, deviennent factrices. Elles occupent de nombreux postes dans les administrations. Elles enseignent dans les écoles des garçons. Elles se chargent du secrétariat de la mairie, quand elles ne deviennent pas maires dans des grandes villes, alors qu'elles n'ont pas encore le droit de vote. Dans les hôpitaux, elles soignent les blessés. Marraines de guerre, elles soutiennent le moral des soldats. Dans les zones occupées, certaines rentrent en résistance, d'autres espionnent. Aux abords de la ligne de front, à la demande des armées, elles se prostituent. Toutes écrivent, demandent des nouvelles, donnent des nouvelles, envoient des colis. Et elles essayent de maintenir vivants les liens qui les relient les uns aux autres.

Rien ne leur est épargné

Travail harassant, souvent dangereux, grossesses non menées à terme, surmenage, privation, faim, surveillance, taxation, suspicion, maladies, viols, avortements... Rien ne leur est épargné. À ces conditions terribles s'ajoute le plus insupportable : l'attente, d'une lettre, de nouvelles, des jours de permission. Cette attente se teinte de solitude, de doute, d'inquiétude, de peur, d'angoisse, de tristesse, d'abattement, de douleur. Le noir devient la couleur des jours et des nuits, celles des villes et des villages, celle des femmes.

Mais subsiste l'espoir

11 novembre 1918, l'armistice met fin à la guerre la plus destructrice que la France et l'Europe aient connue. En France, c'est 1 800 000 soldats morts ou disparus et plus de quatre millions de blessés. Après des années de séparation, hommes et femmes se retrouvent. Mais ce retour, tant attendu, tant espéré, devient pour beaucoup une épreuve. C'est le choc à la vue de ces hommes au corps vieilli prématurément. C'est encore plus effroyable lorsqu'elles ont à affronter un mutilé, un gazé ou pire, « une gueule cassée ».

Alors que les femmes coupaient leurs cheveux, les hommes laissaient pousser leur barbe

Les hommes sont affectés psychiquement. La guerre les a marqués, traumatisés. Ils ne reconnaissent pas toujours les femmes qu'ils ont quittées. Tout a changé : leur allure, les robes et les cheveux ont raccourci, pour des raisons pratiques et de sécurité. Les corsets ont été délaissés. Plus de chapeaux encombrants. Et cette indépendance qu'elles ne dissimulent pas : « je leur ai donné un mouton, ils m'ont rendu un lion ». Désormais, les rapports entre les hommes et les femmes ne peuvent plus être les mêmes. Le doute s'installe, le nombre de divorces augmente. Avec la volonté d'un retour à l'ordre ancien, les hommes recouvrent leurs rôles. Mais certaines femmes aspirent au changement social et veulent rompre avec l'image d'une destinée domestique. Certaines femmes affichent leur émancipation et font peur aux hommes qui n'hésitent pas à les considérer comme des femmes... de « mauvaise vie ». 630 000 veuves subissent la souffrance, la solitude et certaines travaillent encore par nécessité. Pourtant, sur ces cinq moissons qui se sont succédé, les femmes, par leur courage, leur détermination et leur sacrifice, ont tenu leur promesse : elles ont pris soin des enfants, du foyer et ont surtout soutenu le combat des hommes et nourri le pays. 

Claudine Lavorel – Journal Terres des Savoie
Source : L'exposition « Femmes debout » présentée dans les bibliothèques des pays de Savoie, Savoie-biblio.

 

Appel / Le président du Conseil des ministres René Viviani a adressé, le 2 août 1914, l’appel suivant aux femmes françaises.

Aux Femmes françaises

La guerre a été déchaînée par l’Allemagne, malgré les efforts de la France, de la Russie, de l’Angleterre pour maintenir la paix. À l’appel de la Patrie, vos pères, vos fils, vos maris se sont levés et demain ils auront relevé le défi. Le départ pour l’armée de tous ceux qui peuvent porter les armes, laisse les travaux des champs interrompus : la moisson est inachevée, le temps des vendanges est proche. Au nom du gouvernement de la République, au nom de la nation tout entière groupée derrière lui, je fais appel à votre vaillance, à celle des enfants que leur âge seul, et non leur courage, dérobe au combat. Je vous demande de maintenir l’activité des campagnes, de terminer les récoltes de l’année, de préparer celles de l’année prochaine. Vous ne pouvez pas rendre à la patrie un plus grand service.
Ce n’est pas pour vous, c’est pour elle que je m’adresse à votre cœur.
Il faut sauvegarder votre subsistance, l’approvisionnement des populations urbaines et surtout
l’approvisionnement de ceux qui défendent la frontière, avec l’indépendance du pays, la civilisation et le droit.
Debout, donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie! Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés !
Il n’y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays.
Debout ! à l’action ! à l’œuvre! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde.
Vive la République ! Vive la France ! 
Pour le Gouvernement de la République :  le président du Conseil des ministres, René Viviani.