Ferme communale : une opportunité intéressante pour Kévin Franquet
À la tête d’un troupeau ovin, Kévin Franquet a la particularité d’être installé sur une ferme communale à Dieulefit. La municipalité s’attache en effet à faire revenir l’agriculture et l’élevage sur ses terres.

Rien ne prédestinait Kévin Franquet à évoluer dans le monde agricole. Après des études d’économie à Grenoble, le Vauclusien d’origine (il est né à Carpentras, ndlr) a découvert l’élevage un peu par hasard. « Mes parents habitent dans le secteur de Nyons et j’ai assisté, en 2017, à la fête de la Transhumance de Die. Cela a été une révélation pour moi ! »
De fil en aiguille, Kévin Franquet rencontre une éleveuse dans les Pyrénées qui lui propose de lui apprendre le métier. « J’ai commencé ma vie de salarié agricole en tant que berger fromager. Cela a été très rude car les vallées pyrénéennes sont assez peu ouvertes aux étrangers », explique-t-il. Plusieurs mauvaises expériences les contraignent alors à se rapprocher de leur famille, dans la Drôme. « J’ai alors travaillé comme salarié agricole dans des exploitations du secteur puis à la sécurité sociale alimentaire de Dieulefit… Jusqu’au jour où Vincent Delmas, un agriculteur bien connu du secteur, me propose d’aller remplacer un copain, éleveur ovin, le temps d’un week-end ».
Un bail de 18 ans
C’est ainsi que Kévin Franquet met les pieds, pour la première fois, dans l’enceinte de la Ferme des Vitrouillères de Dieulefit, une ferme communale menée depuis près de cinquante ans par Christian Faure. « Lors de nos discussions, l’éleveur me dit qu’il cherche à transmettre sa ferme depuis dix ans et me demande si je suis intéressé. C’était une bonne opportunité pour moi, qui plus est assez rare. Pour ne pas faire d’erreurs, je décide alors de me faire aider par la chambre d’agriculture de la Drôme et l’Adear pour bénéficier d’accompagnements complémentaires sur le diagnostic financier, le prévisionnel et la stratégie à mettre en place sur la ferme. »
Après deux années de réflexions et de discussions avec la communauté de communes de Dieulefit-Bourdeaux et la municipalité de Dieulefit, Kévin Franquet s’installe en novembre 2023 avec un troupeau de 65 brebis allaitantes. « L’une des conditions à mon installation était que je fasse une agriculture nourricière. J’ai signé un bail de 18 ans avec la mairie, ce qui me permet de bénéficier de trente hectares de terres communales (dont 10 ha fauchables) protégées par le PLU, à un loyer compétitif de 600 € par an, soit environ 2 500 € par an au total, habitation et bâtiment d’exploitation compris. » Le bail communal offre au berger-éleveur l’avantage d’être locataire « possiblement à vie puisqu’il s’agit d’une personne morale et qu’il n’y aura pas, de ce fait, de descendant. Dans ce contexte, mon projet pourra donc durer plus de dix-huit ans », se réjouit Kévin Franquet. En parallèle, l’exploitant dispose de trente hectares liés par des baux oraux avec des voisins.
Limiter les investissements
Aussi, la ferme est située au pied de la montagne Saint-Maurice, ce qui lui offre de nombreuses possibilités pour faire pâturer ses bêtes. « Je suis dans un programme très extensif, où mes brebis passent dix mois et demi à l’extérieur. Elles rentrent en bergerie seulement lors de la période d’agnelage », précise-t-il. Toutefois, il doit faire face à un manque de budget de la mairie pour répondre aux gros travaux que nécessite l’entretien d’une ferme, dont les bâtiments (habitation, bergerie). « Je vais demander la dotation jeune agriculteur (DJA) en espérant pouvoir me sortir un Smic d’ici cinq ans. Pour l’heure, si je veux que mon exploitation reste viable économiquement parlant, je ne peux pas investir », regrette-t-il. De son côté, le maire, Christian Bussat, se dit prêt à étudier les dossiers des futurs investissements (création d’une nouvelle bergerie, etc.) : « La question ne s’est pas encore posée mais je ne suis pas sûr que ce soit intéressant - vis-à-vis des aides agricoles - que ce soit la commune qui prenne cela en charge », indique-t-il.
Pour la commercialisation, l’éleveur fait découper sa viande à l’abattoir de Die, puis la vend en caissettes à la ferme. « Je réponds ainsi à la demande de la municipalité, qui est de proposer de la nourriture locale à ses habitants. Dans les années à venir, j’aimerai justement que la ferme s’ouvre davantage aux gens d’ici, pour leur faire découvrir mon métier et leur montrer la réalité. Selon moi, j’ai un rôle social à jouer. »
Malheureusement, Kévin Franquet a vu son troupeau très lourdement touché par l’épizootie de FCO qui sévit depuis le mois d’août. Avec plus de 35 brebis mortes, le jeune installé a estimé un manque à gagner de plus de 20 000 € sur quatre ans. Le variant FCO-8, ayant touché son troupeau, a été classé endémique par les pouvoirs publics, ce qui signifie qu’il n’est pas éligible aux aides de l’État. Un véritable coup dur pour lui après à peine une année d’activité. Pour l’aider à faire face, une cagnotte en ligne a été lancée. Près de 7 000 euros ont déjà été récoltés en quelques semaines, permettant à Kévin Franquet de racheter des bêtes. « Je fais face à un désengagement total de l’État dans cette crise sanitaire. La cagnotte en ligne prend le relais de l’État en s’emparant de la situation dramatique dans laquelle je me trouve. Sans cagnotte, je ne rebondissais pas », avoue-t-il. Les élus de la commune, lors de leur dernier conseil municipal, ont également pris la décision de l’exonérer de ses charges locatives de l’année afin de le soutenir dans cette épreuve.
Amandine Priolet
Un historique particulier
C’est à la fin des années 1960 que Christian Faure, forestier de formation, s’installe sur ce site des Vitrouillères, un lieu communal muni d’un bâtiment désaffecté et de 30 ha de terres, pour installer un troupeau de petits ruminants. À l’époque, ce lieu était une ancienne carrière de terre d’argile. « Christian Faure, forestier de formation, a fait un énorme travail de valorisation des espaces pastoraux tout autour de la ferme, en remettant le site en état, rouvert les espaces... Sur les 30 ha en propriété communale, environ un ha servait de décharge publique communale de classe III », évoque Christelle Harmegnies, directrice du pôle planification, gestion et aménagement de l’espace à la communauté de communes Dieulefit-Bourdeaux. En 2012, alors que la retraite de l’exploitant approche, la collectivité joue un rôle de facilitateur de projets auprès de la mairie en dressant une étude technico-économique globale pour trouver un nouveau porteur de projets. « Il s’est écoulé pas loin de dix ans avant de trouver un repreneur - avec un dossier favorisant l’élevage -, et d’assurer la transmission de cette ferme », conclut-elle.
La commune de Dieulefit veut maintenir l’agriculture sur son territoire
Ancien éleveur de porcs en plein air à Dieulefit pendant 42 ans, Christian Bussat - aujourd’hui retraité - est maire de Dieulefit. « J’ai été paysan toute ma vie et je trouve cela normal et vraiment important que la municipalité maintienne une présence agricole sur son territoire et retrouve sa vocation d’autrefois », affirme-t-il.
C’est pourquoi, depuis sa prise de fonction à la tête de la commune en 2020, il s’est attaché à faire perdurer la ferme communale des Vitrouillières. « Dans le passé, l’équipe municipale avait le projet de réaliser un golf - ou d’autres activités - sur ce site. Mais nous sommes dans un secteur où nous pouvons faire du maraîchage, des vignes, des arbres fruitiers, de l’élevage... Il y a beaucoup de possibilités sur notre territoire et je suis attaché à ce qu’il y ait de l’agriculture dans nos pays, avec le désir de voir des jeunes s’installer. Nous avons vu pendant le Covid que l’approvisionnement agricole était fragile. J’aime autant que nous ayons accès à une alimentation locale. C’est rassurant et tranquillisant », dit-il.
A. P.