Hauts de Provence Rhodanienne : les scénarios se précisent
En 2022, l’ASA du Canal de Carpentras et le syndicat d’irrigation drômois se sont positionnés pour porter le projet Hauts de Provence Rhodanienne (HPR). L’étude de préfiguration se poursuit. Le point sur l’avancement du dossier.

Le projet « Hauts de Provence Rhodanienne » (HPR) est dans les tuyaux depuis vingt ans déjà. Il concerne un territoire (voir encadré) de 81 communes de la Drôme et du Vaucluse qui pourrait être alimenté, au moins en partie, par l’eau du Rhône. Ceci dans l’objectif de préserver la nappe du Miocène et de limiter les prélèvements en eau sur les ressources déficitaires du Lez, de l’Eygues et de l’Ouvèze (voir encadré). Une première étude de faisabilité, pilotée par la chambre d’agriculture du Vaucluse et réalisée par le bureau d’études BRL Ingénierie, a été rendue en 2020. Près de quatre ans plus tard, où en est le projet ?
Actualisation du chiffrage
Très concrètement, pour qu’il puisse un jour aboutir, il fallait que des opérateurs spécialisés dans l’irrigation s’en emparent. Deux structures se sont positionnées en 2022 : l’association syndicale autorisée (ASA) du Canal de Carpentras pour porter la branche sud, celle qui pourrait amener l’eau du Rhône en direction de Vaison-la-Romaine, et le syndicat d’irrigation drômois (SID) pour porter la branche nord en direction de Nyons. Mais avec une condition sine qua non : la réalisation d’une étude de préfiguration. « Cette étude, en complément de l’étude de faisabilité réalisée par BRLI, était indispensable », soulignent Bertrand Saugues, chargé de projet HPR pour l’ASA du Canal de Carpentras et le SID, et Sophie Lasausse, directrice du SID. Les deux structures souhaitaient d’une part vérifier les hypothèses techniques de la première étude (tracés, technologies choisies…) mais aussi actualiser son chiffrage. Une étape nécessaire face à la flambée des prix de l’électricité et des matériaux (canalisations notamment) survenue depuis 2020.
Deux scénarios « optimisés »
Cette étude de préfiguration est en phase de finalisation. Le SID et l’ASA du canal de Carpentras l’ont confiée en prestation au service ingénierie de la société du Canal de Provence. Elle a permis d’actualiser les différentes hypothèses. Avec bien sûr des écarts de coûts faramineux. Ainsi, si l’ensemble du territoire Hauts de Provence Rhodanienne, soit 42 000 ha de terres agricoles, devait être équipé pour un accès à l’eau du Rhône, l’investissement (adduction + desserte) se chiffrerait à plus de 750 millions d’euros. Un scénario « maximaliste » difficilement envisageable pour les potentiels financeurs. Deux scénarios « optimisés » et actualisés par rapport à l’étude de 2020 ont donc été élaborés. L’un prévoit l’adduction et la desserte de près de 20 400 ha pour un investissement de 467 M€. L’autre réduit le projet à 15 000 ha pour un montant estimé à 379 M€. Si ces scénarios prévoient tous deux la création de deux points d’adduction, l’un à Bollène (84) pour la branche nord, l’autre à Grangeneuve (84) pour la branche sud, ils différent sur la zone desservie. Le réseau sud pourrait mener l’eau du Rhône jusqu’à Vaison-la-Romaine, le réseau nord jusqu’aux portes de Nyons. Mais dans le scénario le moins coûteux, la branche desservant l’enclave des Papes depuis le réseau nord ne serait pas réalisée. Rien n’empêcherait toutefois de la créer par la suite.
Analyse économique et récupération des coûts
Tout l’enjeu aujourd’hui est de parvenir au meilleur compromis possible pour répondre aux deux objectifs du projet : rétablir l’équilibre des ressources locales en eau en substituant l’eau du Rhône aux prélèvements actuels et permettre à l’agriculture et aux autres usagers de l’eau de s’adapter dans un contexte de changement climatique.
« Après ce chiffrage des différents scénarios, nous sommes désormais dans l’analyse économique puis viendra l’analyse de récupération des coûts », précisent Bertrand Saugues et Sophie Lasausse. La chambre d’agriculture de la Drôme a notamment été mobilisée pour identifier, à l’horizon 2050, quels pourraient être les besoins en eau du territoire et les valeurs de production en découlant. « C’est une demande des financeurs que de connaître pour chacun des scénarios le rapport coût / bénéfice pour le territoire qu’il s’agisse d’activité agricole, touristique… mais aussi le rapport coût / efficacité, c’est à dire le volume d’eau restitué aux ressources locales », insiste Bertrand Saugues. Quant à la récupération des coûts, ce sera également un des points clés dans l’aboutissement du dossier. En juin prochain, le comité de pilotage* devrait faire ressortir un scénario prioritaire. Il sera alors possible d’interroger les financeurs (Agence de l’eau, État, Régions et Départements) sur la participation que chacun est prêt à apporter. Alors, seulement, sera connue la part restant à charge pour les maîtres d’ouvrage. « Ce sera alors le moment de réunir les usagers et de voir ce qu’ils sont prêts à payer », résume Bertrand Saugues.
Faciliter la levée de fonds pour l’investissement
Se pose aussi la question de la création d’une entité juridique** dédiée, capable de porter l’investissement. « Il n’y a pas de projet de cette ampleur en cours actuellement en France. Compte tenu des montants d’investissement, il est nécessaire d’explorer toutes les possibilités pour faciliter la levée des fonds et maîtriser les risques financiers », estiment Sophie Lasausse et Bertrand Saugues. Si une entité dédiée portait l’investissement, le SID et à l’ASA du Canal de Carpentras se positionneraient clairement comme exploitants des ouvrages.
Sur le territoire, l’attente est grande. Dans les campagnes, certains se demandent en effet « quand arrivera le pipeline du Rhône ? ». Du côté de ceux qui le portent, pas question toutefois de réduire le projet HPR à un projet agricolo-agricole destiné à limiter les restrictions de prélèvements pour l’irrigation. « Les autres usagers n’ont pas exprimé de besoins directs pour cette eau du Rhône, à part quelques besoins pour l’arrosage de stades, d’espaces verts voire pour la lutte contre les incendies en milieu urbain et périurbain, précise Bertrand Saugues. Mais l’enjeu du multi-usage est réel puisqu’en détournant les agriculteurs des ressources utilisées actuellement, on restitue celles-ci au milieu dans l’intérêt de la biodiversité, des paysages, de l’attractivité touristique... Sans oublier le bénéfice sur la nappe du Miocène qui pourrait faire l’objet de nouvelles exploitations pour l’eau potable. »
SID et ASA du Canal de Carpentras espèrent désormais boucler l’étude de préfiguration du projet HPR, dont son « business plan », d’ici la fin de l’année. La balle sera alors dans le camp des financeurs et des usagers.
Sophie Sabot
* Ce comité réunit notamment les préfets de la Drôme et du Vaucluse, l’Agence de l’eau, les collectivités territoriales concernées, les représentants de la profession agricole, des associations environnementalistes…
** C’est par exemple ce qui a été fait pour le déploiement du réseau de fibre optique en Drôme et Ardèche avec la création d’un syndicat mixte dédié.
En savoir plus : www.projethpr.fr
Contact : Bertrand Saugues : 07 77 03 74 33 ou contact@projethpr.fr
Pourquoi un tel projet ?

Depuis vingt ans déjà, des menaces pèsent sur la pérennité de l’irrigation sur le territoire Hauts de Provence Rhodanienne. Dès 2002, l’Agence de l’eau a introduit la perspective d’interdire les forages agricoles dans la nappe du Miocène afin de la préserver pour l’eau potable. Puis les études sur les volumes prélevables conduites de 2012 à 2016 ont conclu à la nécessité de réduire de 20 % sur le Lez, de 40 % sur l’Eygues et de 30 % sur l’Ouvèze les prélèvements d’eau à usage agricole autorisés à l’étiage. En parallèle, les exploitations ont subi plusieurs sécheresses et poursuivent leur adaptation à l’accroissement des besoins en eau des cultures lié au changement climatique.
Pour parvenir à réduire les prélèvements, trois leviers d’actions ont été identifiés dans le cadre du projet HPR :
- réaliser des économies d’eau, notamment par la modernisation des réseaux existants des différentes ASA du territoire et par une réflexion sur l’évolution des cultures ;
- substituer en créant des infrastructures permettant d’amener l’eau du Rhône ;
- imaginer une gestion collective pour qu’un maximum d’usagers ait accès à cette nouvelle ressource.

Le territoire Hauts de Provence Rhodanienne
Le périmètre initial du projet « Hauts de Provence Rhodanienne » (HPR) a été défini sur un territoire de 81 communes (34 drômoises et 47 vauclusiennes). Ainsi, il s’étend de La Roche-Saint-Secret-Béconne (26), à l’extrême nord de la zone d’étude, jusqu’à Sorgues (84) au sud. D’est en ouest, les extrémités de son périmètre sont comprises entre Mollans-sur-Ouvèze (26) et Mondragon (84). Le tout représente 1 620 km². Les besoins en eau du territoire HPR en année sèche, si 80 % des surfaces étaient desservies, sont estimés à 60 millions de m³.