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PARCOURS

Il a repris l’exploitation familiale à tout juste dix-huit ans

À Francillon-sur-Roubion, le parcours de Quentin Bulinge sort de l’ordinaire. Propulsé chef d’exploitation à tout juste dix-huit ans, il déploie depuis bientôt huit ans énergie et conviction pour faire vivre l’exploitation familiale entre polyculture et engraissement de porcs.

Il a repris l’exploitation familiale à tout juste dix-huit ans
Depuis son installation, Quentin Bulinge peut compter sur le soutien de ses grands-parents Françoise et Daniel Roux. ©S.S.-AD26

Il n’a pas encore 26 ans et, à l’âge où certains commencent tout juste à trouver leur voie, Quentin Bulinge affiche déjà huit années d’expérience en tant que chef d’exploitation. Grâce aux conseils avisés et au soutien sans faille de ses grands-parents, il gère seul depuis 2016 trois bâtiments porcins en intégration, soit 800 places d’engraissement, et une cinquantaine d’hectares en céréales et fourrages.

S’il avait bien imaginé prendre la suite sur cette exploitation, dans la famille depuis six générations, la vie l’a propulsé dans ce projet plus vite que prévu. « À 16 ans, après une année de seconde STAV*, j’ai lâché le lycée. Cette année scolaire ne m’avait pas plu. J’avais la possibilité de travailler temporairement sur la ferme comme salarié. Mon idée, c’était d’apprendre sur le tas et de reprendre une formation ensuite », confie Quentin Bulinge. Mais le destin va en décider autrement. Suite à la séparation de ses parents, l’exploitation est à vendre. À la veille de ses 18 ans, le jeune homme fait le choix de s’installer. « Je me suis beaucoup endetté d’autant que, faute d’avoir les diplômes requis, je n’ai pas pu prétendre à la dotation jeune agriculteur (DJA). Heureusement, j’ai été bien accompagné par la banque et le cabinet comptable », poursuit Quentin. Il ne tarit pas d’éloges sur sa conseillère bancaire qui a cru en son projet. La présence d’un atelier d’engraissement de porcs en intégration a certainement pesé dans la balance, celui-ci assurant des rentrées d’argent régulières.

Fier de son métier

« Quand j’ai repris, deux des trois bâtiments porcs étaient en activité. Le troisième était en cours de mise aux normes », souligne le jeune agriculteur. Cet atelier porcin, il en parle avec beaucoup de fierté. D’abord parce qu’il veut défendre cette activité d’engraissement de porcs en bâtiment, dont il est l’un des derniers représentants en Drôme. Ensuite parce que ce sont ses grands-parents, Françoise et Daniel Roux, qui ont créé de toute pièce cet atelier dès leur installation alors qu’ils avaient à peine 20 ans. « Mes grands-parents ont construit de leurs mains leur premier bâtiment en 1968 », souligne Quentin Bulinge. À l’époque, les agriculteurs étaient incités à se lancer dans l’engraissement de porcs en intégration avec la coopérative Valsoleil. « Dans les années 1970, il y avait 60 000 places d’engraissement sur la Drôme et l’Ardèche », se souvient Daniel Roux. Après des désaccords avec l’intégrateur, lui et son épouse ont décidé de travailler en indépendant. À l’époque, ils fabriquaient leur propre aliment et ont passé tous les deux le permis poids lourd pour assurer les transports d’animaux jusqu’à l’abattoir de Valence ou aller chercher les porcelets… « Ça a duré neuf ans, puis on est repassé en intégration avec la société Provent [basée à Chambéry, ndlr] car c’était trop de boulot », raconte encore Daniel Roux. Aujourd’hui, Quentin Bulinge travaille toujours avec cet intégrateur. « Provent fournit les porcelets et paye l’aliment. De mon côté, je fournis les bâtiments [deux sur caillebotis, un sur litière paillée, ndlr], les équipements comme la ventilation dynamique, la paille, l’eau, l’électricité et bien sûr le temps de travail », décrit le jeune éleveur.

Améliorer les conditions de travail

L’année dernière, il a fait installer des chaînes de distribution d’aliments dans les deux bâtiments sur caillebotis. Auparavant, il distribuait encore à la main. Un investissement de 19 000 € HT pour lequel il a pu bénéficier d’aides dans le cadre du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE). « C’était indispensable pour améliorer mes conditions de travail vu que je suis seul sur l’exploitation, souligne Quentin Bulinge. J’ai pris le risque d’investir car je sens la reprise d’une bonne dynamique chez mon intégrateur et de bons efforts sur la génétique. » Mais il regrette tout de même que le prix des porcs n’évolue pas. « Pour les porcs élevés sur caillebotis, le prix de base est fixe et n’a pas bougé depuis 25 ans. Pour les porcs sur litière paillée, la rémunération se fait en fonction des performances, notamment l’indice de consommation** », rappelle le jeune homme. Or, les éleveurs sont confrontés à des charges plus élevées qu’il y a 25 ans, notamment du fait des normes qui évoluent en permanence. « Avec 800 places d’engraissement, je suis soumis à enregistrement ICPE [installations classées protection de l’environnement, ndlr] », précise l’éleveur. Un régime qui l’oblige par exemple à disposer d’une réserve d’eau à proximité pour la lutte contre l’incendie. Sans oublier les normes liées au bien-être animal qui imposent notamment des « jouets » pour les porcs. Autant d’investissements supplémentaires à la charge de l’éleveur, auxquels s’ajoute l’explosion du prix de l’énergie. « Entre fin 2022 et fin 2023, j’ai subi une augmentation de 27 % sur la facture d’électricité », illustre Quentin Bulinge.

Luzerne et bois bûche en complément

Pour s’en sortir, il essaye aussi d’optimiser la rentabilité de ses cultures, notamment grâce aux économies permises sur le poste engrais par l’apport d’effluents d’élevage. Mais, faute d’accès à des surfaces irriguées, il n’a pas d’autre choix que des assolements peu gourmands en eau (blé, orge, avoine, blé dur, colza sur 35 ha). Il mise aussi sur la luzerne. « Je vends le foin à des négociants et à un éleveur avec lequel mon grand-père travaille depuis 1975. Avec le bois bûche, le fourrage est l’un des seuls produits où on a encore un peu la main sur les prix en fonction de la qualité proposée », fait remarquer le jeune agriculteur. Passionné par le travail de bûcheronnage, il livre son bois dans un rayon de 50 km. Il s’est aussi équipé d’un broyeur forestier avec lequel il envisage de développer des prestations. 

Quentin Bulinge ne cache pas que durant les six premières années après son installation, il n’a pas dégagé de revenu. L’an dernier, il a déposé une demande rétroactive de DJA. « J’y croyais mais j’ai été pénalisé car sur les trois années prises en compte pour étudier mon dossier, il y en a une trop bonne. Pourtant c’est une année exceptionnelle qui ne reflète en rien la réalité de ce que je vis depuis huit ans », déplore-t-il. Il a donc demandé une dérogation pour laquelle il attend toujours une réponse. En attendant, il a participé aux mobilisations agricoles de ces dernières semaines, aux côtés des Jeunes Agriculteurs, dont il est membre depuis 2017. Ses principales revendications : moins de lourdeur administrative et une juste rémunération, prenant en compte la totalité des coûts de production, sur le porc comme sur les céréales. Et son grand-père d’ajouter : « Et aussi de la considération pour notre métier si on veut qu’il y ait encore des agriculteurs demain ». 

Sophie Sabot

* STAV : science et technologie de l’agronomie et du vivant. 
** L’indice de consommation fait le rapport entre la quantité d’aliment consommé et les kg carcasses produits. S’il peut être influencé par l’action de l’engraisseur, il l’est aussi par la génétique des animaux et par le type d’aliment fourni par l’intégrateur. 

Repères

Repères
L’exploitation compte trois bâtiments porcins en intégration soit au total 800 places. ©S.S.-AD26

- Quentin Bulinge, 25 ans.

- Installé le 1er juillet 2016 en EARL à Francillon-sur-Roubion.

- Trois bâtiments pour l’engraissement de porcs en intégration, soit 800 places.

- 2 à 2,5 bandes par an.

- 35 ha en blé, orge, avoine, blé dur, colza, vente à la CDC, HVE depuis 2022.

- 30 % de la paille destinés à l’atelier porcin, le reste vendu.

- 12 à 15 ha en fourrages (luzerne et prairies), vente à des négociants et en direct à un éleveur ovin.

- Aucune surface irriguée.

- Vente de bois bûche et projet de développer des prestations avec un broyeur forestier.

Valorisation du bois

Outre la vente de bois bûche, Quentin Bulinge adhère à la Cuma bois énergie 26. Grâce au broyeur de la Cuma, il valorise le bois d’entretien de ses parcelles pour le chauffage familial, soit entre 50 à 60 MAP (métre cube apparent de plaquettes) par an.