“ L’élément de surveillance le plus important est le salissement des parcelles ”
La pluviométrie exceptionnelle de cet automne et du début d’hiver a compliqué et retardé la plupart des semis d’hiver, dorénavant terminés. Le point avec Jean-Charles Deswarte, ingénieur à Arvalis-Institut du végétal.

Comment se sont déroulés les semis d’automne à l’échelle nationale ?
Jean-Charles Deswarte : « Le Nord-Est de la France a été capable de semer très majoritairement avant l’arrivée des pluies survenues après le 20 octobre. En revanche, la façade Ouest, et plus particulièrement le Poitou-Charentes et l’Aquitaine, a été bien plus pénalisée par ces pluies, puisque les semis débutent habituellement vers le 15 ou 20 octobre. En Auvergne-Rhône-Alpes, le taux de semis réalisé a été relativement élevé selon le type de sols. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur a globalement bien réussi à implanter, excepté dans les zones d’épisodes cévenoles. Ces informations datent de mi-décembre, mais finalement, peu d’implantations supplémentaires ont pu être réalisées depuis cette date. Seuls certains agriculteurs ont pu profiter des périodes de gel pour réaliser des semis tardifs mi-janvier. »
Ces cumuls de pluie sont-ils habituels à cette période de l’année ?
J-C D. : « Sur 90 % du territoire, ces cumuls ne sont rencontrés qu’une année sur dix. Exception faite pour le pourtour méditerranéen, tout le territoire national se situe sur un scénario particulièrement humide. À titre d’exemple, il est tombé 500 mm de pluie en trois mois en Poitou-Charentes, dans le nord de l’Aquitaine, en Bretagne, dans le Pas-de-Calais ou encore dans les zones de montagne du Centre-Est.
En parallèle, tout le territoire métropolitain connaît des cumuls de températures élevés, peu différents de ceux survenus l’an dernier. Ces températures,
supérieures aux références des trente dernières années, sont de plus en plus représentatives du changement climatique. Les parcelles implantées avant le 20 octobre et qui ont réussi à lever dans de bonnes conditions vont bénéficier au maximum de cette douceur. En revanche, les parcelles implantées entre fin novembre et début décembre sont péniblement à deux feuilles et souffrent, bien souvent, d’excès d’eau. »
Dans quel cas cet excédent d’eau devient-il un danger pour les sols ?
J-C D. : « L’excédent d’eau provoque de l’hydromorphie, c’est-à-dire que le sol a du mal à évacuer cet excès d’eau. Les plantes vont alors baigner dans un sol trop chargé en eau et pauvre en oxygène et ne réussiront pas à capter de l’azote, ce qui ralentira leur croissance. Si l’hydromorphie est seulement liée à un excès d’eau, l’eau finira par
s’évacuer et la plante pourra se rattraper. En revanche, si cet excès d’eau est lié à un problème de structure du sol, il ne se résorbera que très difficilement, et les plantes peineront à s’enraciner. »
Quelles peuvent être les conséquences sur les rendements ?
J-C D. : « Si le scénario climatique est idéal, nous pouvons nous attendre à un rattrapage, à l’image du printemps 2012, où l’hiver avait pourtant fragilisé les cultures lors d’un épisode de gel brutal. Mais si nous nous appuyons sur les données d’essais pluriannuelles, les parcelles semées tardivement et dans des conditions difficiles, comme lors d’un excès d’eau, peuvent d’emblée avoir de 10 à 30 % de potentiel de rendement en moins. »
Sur quels éléments les agriculteurs doivent-ils renforcer leur vigilance ?
J-C D. : « L’élément de surveillance le plus important est le salissement des parcelles. Nous avons remarqué une présence accrue d’adventices et de graminées sur tout le territoire. Les agriculteurs n’ont pas eu l’occasion de désherber dans la foulée de leurs semis. D’autres, plus inquiets sur la nutrition azotée de leurs cultures, risquent de se précipiter pour fertiliser, et de ne désherber qu’en second lieu. Il est
pourtant préférable de faire l’inverse. Même les parcelles semées précocement ont développé des adventices assez résistantes aux méthodes de désherbage. Sur le court terme, notre inquiétude concerne la façon dont nous allons pouvoir désherber ces parcelles. Sur le moyen terme, elle concerne plutôt le fait que les agriculteurs réagissent à ce qu’il s’est passé l’année précédente. Nous nous attendons à ce que, l’année prochaine, les producteurs se dépêchent de semer. Ce qui
annulerait des années de conseils agricoles, où nous essayons de les dissuader de semer trop tôt, puisque cela augmente le taux de salissement des parcelles. »
Les agriculteurs vont-ils se reporter sur des semis de printemps ?
J-C D. : « Mi-décembre, il manquait un demi-million d’hectares de céréales à paille à l’échelle du territoire national. Mais à l’heure actuelle, les créneaux ne sont plus très favorables à l’implantation de cultures d’hiver. La bascule sur des cultures de printemps ou d’été semble donc inéluctable. Les agriculteurs irriguant peuvent envisager du maïs ou du soja. Mais pour ceux qui n’irriguent pas et qui n’ont pas pu semer durant l’hiver, il faudra se reporter sur de l’orge ou des pois de printemps dans un premier temps, puis du tournesol ou du sorgho, voire du maïs pluvial. Dans ce contexte, le risque est de connaître une tension sur la disponibilité des semences, telles que le blé alternatif et l’orge de printemps. Nous avons donc conseillé aux agriculteurs d’envisager de semer leurs lots présents sur l’exploitation, puisque certaines variétés de blé tendre ont une aptitude à être semées jusqu’au milieu de l’hiver. »
Propos recueillis par Léa Rochon
Des craintes quant à l’approvisionnement en semences de printemps
Pierre Desgoutte l’affirme sans ciller : les rendements de blé et d’orge d’hiver de sa coopérative rencontreront des difficultés à atteindre les trois chiffres cette année. Le président de l’Union des coopératives agricoles de l’Allier (Ucal) déplore la forte pluviométrie survenue à partir du 20 octobre, durant les semis des cultures d’hiver. « En cinq semaines, il est tombé 300 mm d’eau à certains endroits… Certains agriculteurs ont dû laisser le tracteur au bout du champ, tandis qu’une poignée a semé la nuit pendant les fortes gelées de mi-janvier et de décembre », relate-t-il. Selon lui, près de 12 % des semis n’ont finalement pas pu être réalisés. « Notre zone est composée de polyculture et d’élevage, les éleveurs sont donc occupés à gérer les vêlages et n’ont plus le temps d’aller semer : 100 % du boulot est désormais dans les stabulations. » Résultat ? L’Ucal ne dénombre pas moins de 150 tonnes de semences rapportées. Si la conservation de ces dernières jusqu’à l’automne prochain questionne le président, sa principale préoccupation concerne l’achat de semences de printemps. « Les régions qui n’ont pu semer que très peu d’hectares de blé vont chercher à compenser par des blés de printemps, ce qui va créer des problèmes de disponibilité et de la concurrence », affirme-t-il.
Plus au sud, à Issoire (Puy-de-Dôme), le bilan est bien différent. L’eau a été salvatrice pour les sols, ce qui a limité les problèmes lors des semis. Dans l’Ain, Florian Barge s’estime quant à lui chanceux : rotation oblige, il n’avait pas de blé à semer cette année. Mais pour ses confrères et consœurs, la douche a été froide. Du 20 octobre jusqu’à la fin de l’année, il est tombé la moitié de la pluviométrie annuelle. Trouver une fenêtre de tir pour réaliser les semis n’a donc pas été aisé. « Il a tellement plu que les parcelles hydromorphes ont connu des problèmes de pourrissement lors de la levée », relate l’agriculteur, persuadé que la meilleure solution reste de choisir des variétés adaptées au froid. Mais toutes ces problématiques ne concernent pas l’entièreté de la région. En Ardèche, comme dans la Drôme, la plupart des semis ont été réalisés avec succès avant les pluies survenues fin octobre.
Léa Rochon
Un niveau des nappes satisfaisant mais très hétérogène selon les secteurs
Selon une note publiée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) le 17 janvier dernier, l’état des nappes est très satisfaisant sur une grande partie du territoire : 56 % des niveaux sont au-dessus des normales mensuelles. Ce qui n’empêche pas l’organisme de rappeler « qu’en cas de précipitations insuffisantes, la vidange pourrait reprendre et l’état des nappes se dégrader rapidement ». Leur niveau est jugé favorable sur le Nord de la France (Artois, nord du Bassin parisien, Lorraine et plaine d’Alsace), sur la plaine de la Limagne et les volcans d’Auvergne et sur l’avant-pays savoyard. Les nappes alluviales du Rhône, de la Saône et du Massif alpin, ainsi que les nappes jurassiques du Jura ont été très sensibles aux pluies excédentaires survenues depuis mi-octobre. La situation reste néanmoins sous les normales mensuelles sur les nappes inertielles à mixtes du sud du Bassin parisien (Touraine et Beauce), du Sundgau (sud Alsace) et du couloir Saône, Rhône moyen et aval et s’améliore très lentement sur les nappes inertielles du Dijonnais, de la Bresse et de la Dombes. Sur le sud du Massif central, la bordure cévenole, le pourtour méditerranéen et la Corse, les niveaux n’évoluent que très peu et restent généralement sous les normales mensuelles. Les zones de vigilance concernent surtout les nappes du pourtour méditerranéen, fragilisées par un étiage sévère et l’absence d’épisodes notables de recharge.