La chambre d’agriculture de la Drôme engagée pour le projet HPR
Depuis l’émergence du projet Hauts de Provence Rhodanienne (lire ci-contre), la chambre d’agriculture de la Drôme a mis son expertise au service des différentes études réalisées. Elle accompagne également les agriculteurs de ce territoire pour adapter leurs pratiques en matière d’irrigation.

«Le projet Hauts de Provence Rhodanienne est un projet qui va au-delà de la simple substitution, souligne François Dubocs, conseiller irrigation à la chambre d’agriculture de la Drôme. Il nécessite de travailler à la fois sur des solutions pour faire face au déficit quantitatif des trois bassins versants du Lez, de l’Eygues et de l’Ouvèze mais aussi d’accompagner l’agriculture du territoire dans son adaptation face au changement climatique. »
Dans le cadre de l’étude de préfiguration lancée par le syndicat d’irrigation drômois (SID) et l’ASA du canal de Carpentras, la chambre d’agriculture de la Drôme mobilise actuellement ses conseillers spécialisés pour apporter des éléments techniques et économiques sur les différentes filières. « Il s’agit de se projeter sur ce que sera l’agriculture de ce territoire à l’horizon 2050. L’exercice n’est pas simple car il existe aujourd’hui de nombreuses inconnues, notamment du fait des crises en viticulture, en lavandiculture... », précise Bertrand Chareyron, responsable du pôle environnement et développement durable à la chambre d’agriculture. Si la viticulture reste pour l’heure dominante parmi les exploitations du secteur, la chambre d’agriculture de la Drôme a également intégré, dans son étude prospective, les PPAM (notamment des espèces destinées à la commercialisation en frais comme le persil, l’origan, le basilic), la trufficulture, l’oléiculture, l’arboriculture, les prairies, les céréales, sans oublier des cultures émergentes comme la tomate industrie qui fait actuellement l’objet d’un programme de relance.
Complémentarité des cultures
« Dans le cadre du projet HPR, il est nécessaire de réfléchir à une complémentarité des cultures qui permettrait d’optimiser le futur réseau, de l’utiliser sur une période la plus large possible et bien sûr de l’amortir sur des cultures à forte valeur ajoutée », argumente Bertrand Chareyron. Des cultures qui devront toutefois être adaptées à une irrigation type goutte-à-goutte ou micro-aspersion, telle que le prévoit le dimensionnement des réseaux dans les différents scénarios HPR, rappelle François Dubocs.
Sans oublier que ce projet, « ce n’est pas uniquement apporter l’eau du Rhône. C’est une réflexion globale qui inclut la modernisation des Asa, la création de retenues collinaires mais aussi l’accompagnement des agriculteurs pour aller vers une meilleure efficience de l’irrigation, c’est à dire pour optimiser la moindre goutte d’eau utilisée », insiste Bertrand Chareyron.
Six associations syndicales autorisées (ASA) du territoire HPR, dont deux drômoises, ont déjà lancé des projets de conversion de leurs réseaux gravitaires vers des réseaux sous pression. Au total, plus de 1 000 ha seraient concernés par cette modernisation, pour un montant total de travaux de 17 M€, bénéficiant entre autres des aides du Feader. « En Drôme, il s’agit des Asa de Bigary et de Mollans, ce qui représente 175 ha irrigués », précise François Dubocs.
Par ailleurs, la chambre d’agriculture de la Drôme mobilise autour du projet HPR son conseiller spécialisé, Milancha Babity, qui intervient plus précisément sur les questions d’efficience d’irrigation et d’économie d’eau.
Facilitateur du projet
Au-delà de la mobilisation de ses experts techniques, la chambre d’agriculture de la Drôme s’engage depuis plusieurs années comme facilitateur du projet. Elle fait notamment le lien avec la Région, le Département, les différentes collectivités territoriales... En 2022, avec la chambre d’agriculture du Vaucluse et les communautés de communes, elle a impulsé des réunions à destination des maires du territoire Hauts de Provence Rhodanienne. Objectif : faire prendre conscience à ces élus locaux que le projet HPR est bien plus qu’un simple projet agricole mais un véritable projet territorial de gestion de l’eau. Et qu’il y a urgence à le concrétiser.
Sophie Sabot
« Que chacun puisse aller chercher de la valeur ajoutée »

Pourquoi soutenez-vous le projet Hauts de Provence Rhodanienne ?
J.-P. Royannez : « Je suis entré dans ce dossier quand j’ai pris la présidence de la chambre d’agriculture en 2019. Je n’ai pas hésité une minute à m’y impliquer. C’est un projet intelligent, un projet d’avenir pour ce territoire. Les cultures sèches, viticulture et PPAM, qui s’y sont développées traditionnellement, connaissent un passage difficile mais je suis sûr qu’elles ont encore de beaux jours devant elles. Toutefois, avec le changement climatique, elles auront besoin d’eau. Je pense aussi que le poids de ces cultures évoluera et qu’il est nécessaire d’ouvrir des portes pour que chacun puisse se diversifier et aller chercher de la valeur ajoutée. Tout cela ne peut se faire sans un minimum d’eau. Sans le projet HPR, je crains que ce territoire ne recule, à la fois en nombre d’exploitations mais aussi en intérêt touristique. »
Plusieurs scénarios sont sur la table. Selon vous, lequel serait à privilégier ?
J.-P. R. : « La question aujourd’hui est de savoir si l’eau amenée sera amortissable. Pour moi, le meilleur scénario, parmi les deux scénarios optimisés, est bien sûr celui qui inclut au maximum la Drôme [soit le scénario à 467 M€ qui desservirait près de 20 400 ha, lire ci-contre, ndlr]. C’est celui qui coûte le moins cher par hectare irrigué. L’autre exclurait de fait un développement pour toute une partie du territoire drômois. J’espère que, dès cet automne, un scénario sera définitivement arrêté par le comité de pilotage. Mais il ne faut pas être naïf, la gestation de ce projet est compliquée et l’accouchement le sera encore plus. Dans l’idéal, il faudrait qu’il aboutisse dès à présent. Nous devons cependant être réalistes, un projet de cette envergure prendra peut-être cinq ans. Mais, si les agriculteurs ont cette perspective, ils trouveront la force de résister. »
Se pose aussi la question du coût qui restera à la charge des agriculteurs et de la certitude qu’il y aura bien de l’eau disponible sur le long terme pour alimenter ce réseau….
J.-P. R. : « Il y aura bien sûr une part qui devra être prise en charge par les utilisateurs du réseau. L’investissement sera largement récupéré dans la valeur vénale des terres irriguées. Hélas la situation est très difficile pour des filières comme la viticulture ou les plantes à parfum et ce projet n’arrive pas forcément au bon moment pour les agriculteurs. Mais si demain ils ont accès à l’eau, ils auront l’opportunité de s’orienter vers des cultures à forte valeur ajoutée. Quant à l’eau disponible, il faut savoir que le projet HPR a été prévu dans toutes les études concernant les débits du Rhône. Les agriculteurs peuvent être rassurés sur le fait que les prélèvements sur le Rhône seront réfléchis et sécurisés. D’ailleurs, je dis souvent qu’il faut arrêter de se faire peur : les quantités d’eau nécessaires pour sécuriser le projet HPR ne représentent qu’un très faible pourcentage de la ressource. C’est un projet réfléchi pour une irrigation par goutte à goutte ou micro-aspersion. Il n’est pas question d’arroser des cultures à fort besoin en eau et faible valeur ajoutée. »
Propos recueillis par S. Sabot
« Sécuriser l’accès à l’eau, c’est sécuriser notre revenu »

«La première réunion à laquelle j’ai assisté sur le projet Hauts de Provence Rhodanienne, c’était il y a une quinzaine d’années à Suze-la-Rousse. J’avais 23 ans et je projetais de m’installer. Je savais que dans un futur proche l’accès à l’eau allait devenir une vraie problématique », explique Damien Oliveira, qui exploite 13 ha de vignes à Bouchet. Son épouse, Stéphanie, est également installée en société avec son père sur une vingtaine d’hectares de vignes. Tous deux sont coopérateurs de la cave Costebelle. « Sur les 33 ha que représentent nos deux exploitations, une dizaine est irriguée par goutte-à-goutte », précise le viticulteur. L’eau provient de forages ou puits et des canaux d’irrigation de l’Asa du canal du moulin de Tulette. « Notre objectif n’est pas d’irriguer pour produire plus mais d’éviter que la vigne ne souffre et maintenir la qualité de nos raisins. Sécuriser l’accès à l’eau, c’est sécuriser notre revenu », résume Damien Oliveira. La crainte en effet est de voir se multiplier les épisodes de restriction, comme en 2022. La fermeture des canaux d’irrigation avait alors été imposée dès le mois de juillet.
Enjeu pour le renouvellement des générations
« Si le projet HPR se met en place, nous pourrons aussi envisager des projets de diversification, ajoute le viticulteur. Sans oublier l’enjeu pour le renouvellement des générations. Nos jeunes s’installeront plus facilement s’ils ont une borne à l’angle de leur parcelle. » À condition toutefois que le coût de cette eau reste accessible pour les agriculteurs. Damien Oliveira estime qu’il ne faudrait pas dépasser les 300 euros par ha et par an pour l’abonnement, l’eau et l’énergie. Il est aussi conscient que les irrigants devront « mettre la main à la poche » pour voir concrétiser ce projet. Vu le contexte agricole, il espère que le montant restant à la charge des agriculteurs sera réduit au maximum et lissé sur plusieurs années.
Mais qui dit projet HPR, dit aussi projet de modernisation des Asa. Et là le sujet fait grincer des dents Damien Oliveira, également président de l’Asa du canal du moulin de Tulette. « On nous demande de convertir nos canaux gravitaires en réseau sous pression, rappelle-t-il. Mais les investissements sont conséquents et qui nous dit que demain nous aurons l’eau pour les alimenter ? » Il se bat d’ailleurs pour qu’en Drôme, la loi sur l’eau ne soit pas surinterprétée et les canaux menacés. « Dans les Pyrénées Orientales ou au Maroc, on réouvre des canaux. Des études ont été réalisées ou sont en cours sur leurs effets sur le milieu », souligne-t-il. Le 16 avril dernier, ces questions ont été relayées par les présidents JA et FDSEA de la Drôme, reçus par un conseiller d’Emmanuel Macron lors de la visite de ce dernier sur le Vercors.