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Prévention

Le bien-être en agriculture :  le monde agricole s’engage

Depuis de nombreuses années déjà, les acteurs du monde agricole et les services de l’État, sur l’ensemble des territoires français, se mobilisent pour accompagner les agriculteurs en situation de mal-être et les sortir de l’ornière. 
Mi-mars, Olivier Damaisin, coordinateur national du Plan prévention mal-être en agriculture, est venu, à l’invitation de la CRMCCA*, échanger avec certains des acteurs locaux engagés dans cet accompagnement.

Le bien-être en agriculture :  le monde agricole s’engage
L’écoute et la mobilisation du collectif sont parmi les clés de l’accompagnement des agriculteurs en difficulté. ©MSA

Depuis la sortie du film Au nom de la terre d’Édouard Bergeon en 2019, qui relate sans détour la descente aux enfers d’un éleveur qui le conduira à commettre l’irréparable, le suicide en agriculture n’est plus un tabou politique. Ce sujet de société est en effet pris à bras-le-corps par les acteurs du monde agricole et les pouvoirs publics. Si dès 2011, des plans d’action avaient été mis en œuvre, en 2021, c’est une feuille de route qui est écrite. Les objectifs sont multiples et clairs : humaniser les rapports aux agriculteurs en difficulté et être à l’écoute de chaque cas personnel, aller vers ceux et celles qui sont isolés face à leurs difficultés, prévenir et accompagner. Des objectifs qui exigent de la proximité et des moyens mobilisés à l’échelle des territoires. Ainsi, dans tous les départements, une cellule dédiée à la question du mal-être en agriculture et un réseau de personnes « sentinelles » doivent se déployer. La machine est lancée et, en 2024, la route semble se tracer petit à petit. 
« Aujourd’hui, tous les départements ont mis leur comité en place et les sentinelles se forment et sont actives », a noté Olivier Damaisin, coordinateur national interministériel du Plan prévention mal-être en agriculture, en déplacement dans la Loire, le 12 mars dernier, dans le cadre d’un temps d’échange organisé par la CRMCCA1 avec les acteurs du monde agricole.  « Il faut maintenant la renforcer et lui donner davantage de visibilité. Nous devons aller sur le terrain, échanger avec les acteurs, faire remonter les choses. » Sur les territoires, les propos du coordinateur se confirment.

Du lien de terrain

À l’instar de nombreux départements, en Ardèche, Drôme et Loire, la formation des sentinelles, coanimée par des professionnels cliniciens et des travailleurs sociaux de la MSA, s’est instaurée en 2023. « Nous avions pour objectif de former 50 sentinelles par département sur l’année. Cette formation s’adresse à tous les citoyens sur les territoires et nous souhaitions, avec cette action, toucher un public qui est en contact avec le milieu agricole, a expliqué Julie Malsert, chargée d’étude sur le mal-être à la MSA Ardèche, Drôme, Loire. Cette formation, au-delà de donner des éléments concrets sur ce que peut être la crise suicidaire, vise surtout à sensibiliser les personnes à la problématique du mal-être et à donner des clés pour remettre de l’humanité dans nos relations humaines, pour être attentif et sensible aux signes du mal-être. » Pari réussi pour la MSA qui a formé, en 2023, 250 sentinelles. Prochaine étape : le déploiement de l’animation du réseau.
Pour Grégory Chardon, agriculteur dans la Drôme et coopérateur à la cave de Tain l’Hermitage, cette formation a été indispensable. « Tant qu’on n’y est pas confronté, on ne se rend pas compte. On peut mieux appréhender les choses après. » Au-delà d’être formé, Grégory Chardon reconnaît l’importance de l’entraide et du réseau dans ce soutien indispensable. « La coopérative est une grande famille, nous ne sommes pas simplement des apporteurs de raisins. Quand l’un de nos collègues ne va pas bien, il faut l’écouter et nous rassembler pour l’aider. C’est ça la force du collectif. »
« Il y a forcément une solution quelque part » En effet, aujourd’hui, si le tabou politique semble être tombé, il existe encore dans les rangs des agriculteurs, reconnus bien souvent comme taiseux. Un travail collectif est donc nécessaire pour libérer la parole. « Dans le monde agricole, il existe un véritable maillage pour aider les personnes en difficulté. Nous devons travailler tous ensemble, car la solution n’est rarement que bancaire, a souligné Jean-Baptiste Couderc du Crédit 
agricole Centre France. Nous organisons en ce sens des tables rondes en réunissant différents acteurs pour mutualiser les solutions. Les agriculteurs ont besoin de perspectives. Il y a forcément une solution quelque part. » À Groupama aussi le mutualisme est la clé. « Nous avons pris à bras-le-corps la problématique de la santé mentale. Nous avons créé des synergies avec les professionnels de la santé au niveau du département pour orienter les personnes vers le bon relais. Nous devons créer des synergies en remettant de l’humain au centre », a noté Betty Vacher, coordinatrice des actions prévention-santé à Groupama Loire. Plusieurs actions collectives ont été mises en place comme un bus bien-être qui sillonne le département.

Mettre les moyens

« Sur le terrain, nous sommes de multiples acteurs et de nombreuses actions sont initiées. Nous avons tous à cœur de mener à bien cette mission. Aujourd’hui, il est primordial de faire confiance à l’existant, aux structures en place. Nous avons la volonté commune de bien faire les choses, mais nous devons être en mesure de le faire jusqu’au bout. Il nous faut les moyens de le faire », a interpellé Philippe Panel, président de la CRMCCA. Deux  ingrédients semblent alors indispensables pour relever ce défi : la volonté collective de travailler ensemble et des moyens humains et financiers mobilisés. « Il ne faut pas oublier aussi de dire aux agriculteurs qu’ils travaillent bien, qu’ils font bien leur métier passion », a insisté un éleveur laitier de Haute-Loire. 
De quoi redonner confiance. 

Marie-Cécile Seigle-Buyat

*  La Confédération régionale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles (CRMCCA) regroupe la MSA, La Coopération agricole, Groupama et le Crédit agricole.

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Jeunesse

Prévenir, dès les bancs du lycée

La prévention doit commencer le plus tôt possible. « Il est primordial de prendre les choses dès le départ, au niveau même des établissements d’enseignement agricole. Il faut informer les futurs agriculteurs et salariés agricoles des dispositifs qui existent pour les accompagner tout au long de leur carrière et notamment en cas de difficultés », a souligné Bruno Ferreira, directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Toutefois, si  l’information est primordiale pour permettre aux jeunes de préparer leur futur, le besoin d’accompagnement, d’écoute est parfois nécessaire dès le plus jeune âge. C’est à partir de ce constat que la MSA Auvergne a initié le projet du « Mal-être au bien-être ». Ce projet a été lancé à la suite d’un « ressenti de terrain, des jeunes qui seraient en difficulté, a expliqué Emmanuel Rioux, sous-directeur de la MSA Auvergne. Nous avons voulu mettre en place une action globale qui vise l’ensemble de l’enseignement 
agricole auvergnat, soit 4 000 étudiants. Nous voulons mesurer, quantifier et prévenir. La santé on en parle, il faut aussi poser certaines choses. Il faut outiller les jeunes. » Dans ce cadre, un baromètre de la santé mentale des jeunes a été mis en place à la suite d’une enquête. Une ligne d’écoute et un atelier de gestion des émotions ont également été instaurés parmi d’autres initiatives. « L’action a démarré en 2023 pour trois ans. Notre volonté est réellement de toucher l’ensemble des lycées 
agricoles », a conclu Emmanuel  Rioux.

M.-C. S.-B.

Suicide : un risque accru en agriculture

Dans son rapport « Charges et produits » pour 2024, la MSA a publié les résultats d’une récente étude sur la mortalité par suicide et les tentatives de suicide des assurés agricoles, des données qui n’avaient pas été mises à jour depuis 2017. Chez les exploitants agricoles (non-salariés agricoles) de 15 à 64 ans, le risque de mortalité par suicide observé en 2020 « se détache à la hausse de la tendance des années antérieures et révèle un sur-risque de suicide significatif contrairement aux années 2015 et 2017 », constate la MSA. Il est plus élevé de 77,3 % par rapport au risque constaté chez les assurés de tous régimes (+ 82,1 % chez les plus de 65 ans). Chez les salariés agricoles, de tous âges, la fréquence des suicides n’est pas significativement supérieure – sur ce point, la MSA estime que les chiffres sont à analyser avec « prudence » et plaide pour un « approfondissement des travaux ». Les chiffres des tentatives de suicide montrent, quant à eux, « une relative stabilité » chez l’ensemble des assurés agricoles sur la période 2017-2021.