Le changement climatique, un défi collectif pour la viticulture
La première édition du Climat Tour, organisé par le Comité vin Auvergne-Rhône-Alpes, a eu lieu à la maison des vins de Tain-l’Hermitage, vendredi 22 mars. Une journée pour passer en revue les solutions face à des aléas météorologiques de plus en plus violents.

Du Beaujolais aux coteaux d’Auvergne, en passant par les Savoie, la Vallée du Rhône, le Bugey, la Loire ou encore la Drôme provençale… Aucun vignoble n’échappe aux changements climatiques. Cette transformation, provoquée par les activités humaines, va se poursuivre. Dans le meilleur scénario, la situation pourrait se stabiliser d’ici vingt ans (avec une hausse limitée à 2 °C), et dans le pire, le réchauffement pourrait atteindre plus de 5 °C à la fin du siècle. Dans tous les cas, une adaptation rapide est nécessaire, notamment en agriculture.
Les viticulteurs, en l’occurrence, sont soumis à plusieurs risques : le gel, avec des débourrements précoces, les épisodes de grêles destructeurs et, bien sûr, les canicules. Pour préserver les productions et la viabilité économique des exploitations viticoles, il n’y a pas une recette. « C’est une boîte à outils avec différents leviers à actionner », souligne Isabelle Seigle Ferrand, déléguée générale du comité vin. Lors de la journée Climat Tour à Tain-l’Hermitage, différentes stratégies d’adaptation au changement climatique ont été partagées entre les soixante participants venus de toute la région.
Dans les vignobles, des pratiques variées
Sols couverts, réduction de la surface foliaire, porte-greffes plus vigoureux… Les techniques sont variées et doivent s’adapter à chaque terroir. La taille tardive (en mars) peut par exemple reculer le débourrement d’une dizaine de jours, comme l’explique l’animateur de l’atelier sur les pratiques culturales, Taran Limousin, ingénieur à l’institut français de la vigne et du vin (IFV). Pour ce qui est des couverts, là encore, la réponse n’est pas unique. « Tout dépend de la date et de la méthode de destruction », intervient un participant. L’animateur souligne que le couvert apporte un bénéfice pour conserver la fraîcheur du sol. « Mais il ne faut pas non plus qu’il y ait de concurrence hydrique », nuance-t-il. L’alternative la plus efficace semble être le paillage, bien qu’il soit parfois complexe à mettre en place. Autre pratique évoquée, la réduction du feuillage qui pourrait permettre de récolter un peu plus tard. D’après des essais menés par l’IFV en Savoie, un rognage sévère implique un décalage de maturité de quelques jours, ainsi qu’une hausse du taux d’azote dans les raisins.
Filets para-grêle : une technique convaincante
Face à la grêle, des protections physiques font leur apparition. Autorisés en AOP depuis 2018, les filets présentent une bonne efficacité. « En 2023, on a eu un gros épisode de grêle au 22 juillet, relate Marc Romak, viticulteur à Mercurol-Veaunes. Sous filet, on a fait un rendement de 45 hectolitres par hectare, et à côté, sur les zones grêlées sans protection, le rendement allait de 8 à 12 hl/ ha. » L’expérience parle d’elle-même et les participants semblent convaincus. La question est ensuite celle du choix des filets, et notamment de leur couleur. D’après les essais et les retours, les noirs semblent les plus adaptés, que ce soit pour l’intégration au paysage ou l’ombrage de la vigne.
Des outils collectifs contre la grêle
Dans un autre atelier, des témoignages évoquent les systèmes collectifs contre la grêle. D’abord, le réseau associatif Anelfa et ses générateurs à vortex qui agissent sur la taille des grêlons en disséminant des particules d’iodure d’argent dans l’atmosphère à l’approche d’un nuage de grêle. Pour une meilleure efficacité de ces outils (dont la portée est de 10 km), un maillage territorial est mis en place par le biais d’associations (Arelfa, Prévigrêle, notamment).
Le Laico de la société Selerys a également été présenté. Il s’agit de ballons gonflés à l’hélium qui libèrent des sels hygroscopiques à 600 mètres d’altitude. Le sel absorbe l’humidité avant que les grêlons ne se forment pour les transformer en pluie.
Des tours antigel pour préserver les meilleures parcelles
Enfin, un dernier atelier était consacré aux tours antigel, à travers des témoignages d’agriculteurs. Ces tours, équipées d’une hélice, permettent de lutter contre le gel en mélangeant les couches d’air, et notamment l’air chaud situé en hauteur pour le ramener vers le sol. Selon leur taille, elles protègent une surface allant d’une cinquantaine de mètres autour d’elles à plus d’un hectare. Un moyen de chauffage supplémentaire, tel que des bougies, permet aussi d’améliorer la lutte contre le gel. Toutefois ce système est peu efficace au-delà de -6 °C (l’outil est plus utile entre 0 et -3 °C) et contre les gelées noires qui refroidissent l’atmosphère sur plusieurs mètres de hauteur. Là encore, il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais d’un système qui peut être intéressant pour préserver les parcelles gélives à fort potentiel.
Pauline De Deus
Une protection adaptée aux pratiques

La journée s’est poursuivie, sur le domaine Melody, à Mercurol-Veaunes, où des filets para-grêle sont installés. Sur cette exploitation de 22 ha, les gérants Marc et Marlène Romak ont commencé à investir dans des filets para-grêle en 2019, après un orage qui a détruit 50 % de la récolte en moins d’un quart d’heure. « On a eu la chance d’être assuré, ça permet de limiter la casse. Malgré tout, l’année suivante, on avait beaucoup moins de vin à vendre… Ça nous a fait perdre une partie de la clientèle et c’est un réseau que l’on avait mis dix ans à construire », déplore le vigneron indépendant.
5 ha équipés
Face à ce constat, il a décidé de chercher une manière de protéger ses vignes. « Avec quelques viticulteurs, on est allé à la pêche aux idées. À partir de ce qu’on a pu voir, on a construit un cahier des charges pour imaginer une protection adaptée », témoigne Marc Romak. L’objectif : mettre en place un système simple d’utilisation et qui n’implique aucun changement de modes de conduite de la vigne, y compris pour le travail mécanique. Aujourd’hui, 5 ha du domaine Melody sont ainsi équipés de filets anti-grêle.
Recyclage des filets en fin de vie
Pour ce qui est de l’investissement, Marc Romak l’estime entre 10 000 et 15 000 euros par hectare. Le tout soutenu par des subventions : les premières années 40 à 50 % financés par des fonds régionaux et depuis deux ans, 50 à 70 % grâce au programme Feader. Ce prix ne prend toutefois pas en compte le temps de pose. « Mais une fois en place, on n’y touche plus », précise-t-il. Pour ce qui est du matériel, le vigneron a fait le choix d’un filet tricoté indémaillable de chez Texinov, de manière à ce que les mailles ne se filent pas en cas de trou. Marc Romak envisage également d’investir dans une machine à coudre portable pour faciliter les réparations. Et il précise que ces filets peuvent aussi être recyclés en fin de vie, en passant par Adivalor.
Pauline De Deus
Vignoble mondial : une cartographie bientôt bouleversée ?
« En cas de réchauffement global supérieur à 2 °C, environ 90 % des régions viticoles traditionnelles côtières et des plaines en Espagne, Italie, Grèce et au sud de la Californie risquent de perdre leur aptitude à produire du vin de qualité à des rendements économiquement soutenables ». Ce constat est celui dressé par des scientifiques français au travers d’une étude publiée dans Nature reviews earth and environment.
Cette étude, menée par l’Inrae, Bordeaux Sciences Agro, le CNRS, les universités de Bordeaux et de Bourgogne, confirme « le seuil clé » de + 2 °C, correspondant à l’Accord de Paris. Selon ces chercheurs, les producteurs « peuvent s’adapter jusqu’à un niveau de réchauffement global ne dépassant pas 2 °C. Par exemple avec des couples cépages/porte-greffe plus résistants à la sécheresse ou des pratiques culturales permettant de mieux préserver l’eau des sols tel un plus grand espacement entre les rangs ou des aménagements anti-érosion, comme cela a été démontré par plusieurs études en lien avec les acteurs de la filière viticole ». Mais, ils précisent que les choix d’adaptation dépendront fortement des conditions locales et ne pourront se faire « qu’à condition de maintenir la viabilité économique des exploitations ».
L’étude précise également que « les températures plus élevées pourraient améliorer l’aptitude d’autres régions pour la production de vins de qualité, notamment le nord de la France, l’État de Washington ou l’Oregon aux États-Unis, la Colombie-Britannique au Canada et la Tasmanie en Australie », voire « conduire au développement de nouvelles régions viticoles en Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark. »