« Le froid représente environ 20 % de la consommation d’électricité »
Avec le réchauffement climatique et la flambée des prix de l’énergie, les spécialistes cherchent des économies dans de nombreux secteurs. Et notamment dans la consommation induite par la chaîne du froid des produits alimentaires. Directrice de recherche au laboratoire du génie des procédés frigorifiques au sein de l’Inrae, Laurence Fournaison étudie plusieurs pistes pour rendre celle-ci plus efficace et moins consommatrice.

Pourquoi cherche-t-on à économiser des énergies dans la production de froid ?
Laurence Fournaison : « Le froid représente environ 20 % de la consommation d’électricité dans les pays industrialisés, soit une contribution aux gaz à effet de serre de 10 %. L’alimentation représente les trois-quarts de celle-ci. Avec le réchauffement climatique, les machines doivent répondre à des contraintes de températures de plus en plus importantes. Or, on sait qu’une augmentation de 3 °C de la température ambiante génère une augmentation de consommation d’électricité de 10 %. C’est pourquoi l’Union européenne a lancé un projet de recherche sur la décarbonation de la chaîne alimentaire, appelé Enough (European food chain supply to reduce GHG emissions by 2025), dans lequel nous travaillons notamment sur la question du froid. »
Quelles sont les pistes pour optimiser la production du froid dans la chaîne alimentaire ?
L.F. : « Il faut d’abord savoir que différentes réglementations ont réduit la gamme de fluides frigorifiques autorisés* du fait de leur impact environnemental. Cela en laisse peu de disponibles. Globalement, beaucoup de solutions à base de CO2 se développent mais montrent des rendements moindres en cas de forte chaleur. Et ceux à base d’hydrocarbures posent des problèmes de sécurité dans certains usages, car ils sont inflammables. C’est pourquoi nous travaillons sur des solutions de réfrigération secondaire avec un circuit de solution aqueuse (à base d’eau) qui distribue le froid produit avec un fluide frigorigène dans la salle des machines. Actuellement, ces systèmes offrent une régulation un peu moins précise et sont moins performants que les systèmes directs. Mais il y a des pistes de travail pour améliorer les procédés et leur efficacité, tels que les “coulis de glace”. En effet, en ajoutant des cristaux de glace à la solution aqueuse, avec un même débit, on peut multiplier sa capacité énergétique par trois ou quatre. »
Les énergies renouvelables sont-elles source d’espoir ?
L.F. : « Cela ne changera pas l’efficacité et la consommation de la machine frigorifique. Mais cela peut permettre de fabriquer du froid lorsque l’énergie, solaire par exemple, est abondante et peu chère et de la stocker pour l’utiliser en cas de pic de consommation (grosse chaleur, forte quantité de clients dans un supermarché avec de nombreuses ouvertures des frigos et congélateurs…). Le stockage permet d’écrêter et donc d’améliorer l’efficacité de la chaîne du froid. Pour schématiser, on utilise par exemple des piscines ou des réservoirs verticaux d’eau transformés en glace. Cela a un fort intérêt car lorsque la glace fond, elle dégage une énorme quantité d’énergie. Un litre d’eau à température ambiante génère 80 kJ lorsqu’on l’augmente de 5 °C. Alors que le même litre de glace qui fond génère 333 kJ. C’est une technique qui peut être utilisée dans de grosses usines autant que dans des camions frigorifiques, des vélos cargo… Et on travaille également sur les meubles de vente. »
Peut-on assurer la continuité de la chaîne du froid avec des systèmes de stockage ?
L.F. : « Dans un camion frigorifique, si le frigo tombe en panne, on ne peut pas faire grand-chose. Finalement, avec un stockage, il y a moins d’aléas car le volume du stockage est calculé pour tenir une journée en fonction des températures extérieures. Il y a des sondes de températures installées dans les camions. Cela repose sur la vigilance du livreur. Mais avec le développement de l’intelligence artificielle, on peut automatiser le fait de repérer une anomalie et d’anticiper les différents phénomènes et d’adapter la libération du froid en fonction. »
Peut-on imaginer une évolution de la législation concernant les températures de conservation ?
L.F. : « Nous travaillons sur un projet qui envisage de remonter de 3 °C la température des produits surgelés, qui est aujourd’hui de -18 °C. Nous analysons avec des agences sanitaires les conséquences sur la qualité microbienne, la conservation des vitamines et la structure des produits. Cela ferait environ 10 % d’économie d’énergie sur le poste des surgelés, qui représente 15 % de la consommation énergétique de la chaîne du froid. »
Sur quoi les professionnels peuvent-ils agir dès aujourd’hui ?
L.F. : « Une grosse part du gaspillage d’énergie vient du champ car les produits alimentaires sont stockés sans refroidissement avant d’être chargés dans les camions frigorifiques qui consomment beaucoup plus pour abaisser la température des fruits et légumes. On pourrait imaginer, chez le maraîcher, des panneaux photovoltaïques qui pourraient alimenter un groupe froid pour stocker à température plus basse avant le transport. Par ailleurs, nous travaillons sur le stockage des denrées alimentaires dans les entrepôts ou les camions. En effet, il y a une problématique d’homogénéisation des températures. Prenons l’exemple d’un fromage au lait cru qui fermente. Le dégagement de chaleur lié à la fermentation élève la température du produit et peut se propager à toute la palette de fromage et, ainsi, on peut avoir une montée en température très importante. C’est pourquoi nous travaillons avec des industriels sur la manière d’empiler les cagettes et sur les emballages pour faciliter la circulation de l’air et garder une température homogène. »