Les moutons font étape sous les noyers
Les producteurs de Polinéas (Isère) ont accueilli au printemps dernier un troupeau de 1 200 brebis pour pâturer sous les noyers. Ils se promettent de renouveler cette année ce partenariat éleveur-nuciculteur.
Les moutons font étape sous les noyers

«L’objectif est qu’il n’y ait pas de gaspillage d’herbe dans la mesure où cela peut servir à d’autres qui en cherchent et passent par là. Cela ne fait pas de transport en plus. C’est juste une organisation différente. » Au printemps 2023, à Poliénas, Cédric Ruzzin et huit autres producteurs de noix se sont rassemblés pour accueillir sous les noyers un troupeau gardois de 1 200 brebis et leurs agneaux. Ils se sont promis de recommencer l’expérience en 2024. Sur la route de la Maurienne, le berger a donc fait étape dans le Sud-Grésivaudan pour faire pâturer ses bêtes. Une autre partie de son cheptel était à Vinay.
Un gain d’un mois
« J’ai toujours fait pâturer sous les noyers, en particulier dans les coteaux non mécanisables. C’est une pratique ancestrale », explique Cédric Ruzzin, polyculteur éleveur, qui possède un petit troupeau de 80 brebis viande, produit des volailles Label rouge, exploite 30 ha de noyers et près de 25 ha de céréales. En 2023, avec deux autres producteurs, il a donc contacté le berger pour lancer l’expérimentation dans la plaine. « J’ai été agréablement surpris par la réponse des agriculteurs et de la commune qui ont suivi le projet », note encore Cédric Ruzzin.
Les bêtes sont arrivées début mai et sont restées un mois pour pâturer 80 hectares en tout. Le berger a organisé des parcs entre 10 et 15 ha dans lesquels les brebis restaient plusieurs jours. Mais l’an passé, l’herbe était tellement abondante « que lorsque le troupeau est reparti, les premières parcelles avaient déjà repoussé, constate le producteur. Le berger a gagné un mois sur ses agneaux qui étaient si gras qu’il n’a même pas eu besoin de les monter en alpage ! »
Quant aux nuciculteurs, ils estiment avoir fait l’économie d’un broyage.
Relation de confiance
La mise en œuvre du projet a été suivie par la chambre d’agriculture de l’Isère et la station expérimentale Senura dans le cadre du programme Greenfruit (qui succède à Greencoq), lequel s’appuie sur un GIEE* piloté par la chambre.
Au terme de cette première campagne, les producteurs ont partagé leurs retours d’expérience. Il s’agissait d’abord de lever les appréhensions, notamment celles liées à la qualité du travail réalisé sous les noyers. À Poliénas, une relation de confiance s’est rapidement instaurée entre le berger, les producteurs et la commune. La question des six chiens de protection a été prise en compte en amont. La mairie a installé des panneaux autour des parcs pour prévenir les promeneurs car l’installation des moutons est devenue l’attraction des week-ends. De plus, un arrêté municipal a été pris pour éviter la divagation des chiens dans la commune. « Les chiens de protection défendent le troupeau, mais avec nous, ils sont peureux. Ils n’attaquent pas », constate Cédric Ruzzin. Surtout, les bêtes n’ont fait l’objet d’aucune prédation.
« Le plus compliqué, c’est le déplacement du troupeau avec les mères et leurs petits, reprend Didier Buisson, un autre producteur. Il a fallu bien s’organiser, bloquer les routes et mobiliser sept à huit personnes. » Les nuciculteurs racontent également que les nuits suivant les déplacements n’ont pas été très calmes pour les habitants alentour. Les brebis étaient en effet agitées et ont largement bêlé pour retrouver leurs agneaux tout en faisant tinter leurs cloches. Jusqu’à ce que le jour suivant, tout rentre dans l’ordre.
Les appréhensions quant au tassement des sols ont aussi été levées durant cette première campagne. Seuls les passages de brebis et leurs chemins ont été tassés.
Bon pour l’image
Au fil des jours et pour répondre à l’intérêt de la population, les éleveurs ont même organisé une journée pédagogique avec les enfants de l’école avant que les moutons repartent. « Nous l’avons fait sur une parcelle devant l’école, de façon informelle, mais en 2024, on ira plus loin », assure Cédric Ruzzin.
Les producteurs tirent un bilan positif de cette première campagne de pâturage sous noyers. Ils reconnaissent avant tout le professionnalisme du berger et la confiance qui s’est instaurée entre eux. Le rapport à la population a aussi été des plus intéressants. « C’est bon pour l’image de l’agriculture. Des moutons sous les noyers, c’est bien vu et ça permet d'engager le dialogue », relate le producteur. « Et puis, on a resserré les liens entre agriculteurs, même avec des producteurs qu’on ne connaissait pas », ajoute Didier Buisson. Enfin, le berger, venant de la plaine de Crau dans le Gard où le pâturage est très réglementé, a été satisfait de pallier son manque d’herbe pour ses bêtes.
Isabelle Doucet
* Groupement d'intérêt économique et environnementale
Gérer l'herbe dans les vergers

Le projet Greenfruit s’intéresse aux pratiques agroécologiques de gestion de l’herbe au verger (rang et interrang). Il réunit les stations expérimentales Senura (porteur de projet) et de Creysse, Invenio ainsi que les chambres d’agriculture 19, 24, 38 et 47. Il est financé par FranceAgrimer à hauteur de 600 000 euros, les études portant sur la période 2022-2026.
La Senura mène des essais sur les couverts végétaux, la diminution du nombre de broyages sur le rang et le pâturage de moutons sous noyers. Elle était présente à Poliénas dans le cadre de la restitution de l’expérience de pâturage sous noyers. « Nous souhaitons montrer qu’il est possible de gérer autrement l’enherbement, explique Delphine Sneedse, chargée d’expérimentation à la Senura. Et puis dans un contexte économique d’augmentation du prix du gasoil, ça marche. » Cependant, un des freins reste le coût de l’implantation du couvert.
La Senura conduit ses essais en partenariat avec la chambre d’agriculture de l’Isère qui a monté un GIEE sur les thématiques de réduction des produits phytosanitaires sur noyer. Quinze fermes de la vallée du Grésivaudan sont engagées dans la dynamique. Après les réunions de bout de champ, les premiers bilans sont attendus. Un site internet, géré par la station de Creysse, permettra de centraliser les retours des essais et les résultats obtenus, mais aussi de mettre des outils et des fiches en commun. « Les producteurs pourront ainsi avoir accès à toutes les informations possibles concernant le pâturage sous noyers ainsi qu’aux renseignements réglementaires et administratifs », explique la technicienne de la Senura. La démarche est appelée à être largement diffusée. La « démultiplication » est d’ailleurs la raison d’être de l’appel à projet.
I. D.
Un temps pour tout
Le cahier des charges AOP noix de Grenoble ne donne pas d’indications au sujet des traitements du verger. La chambre d’agriculture de l’Isère recommande cependant d’attendre au moins 15 jours et plutôt trois semaines avant de parquer des moutons après un traitement au cuivre. Ce produit est en effet toxique pour les ovins, contrairement aux bovins. « Stocké dans le foie, il est susceptible de provoquer une sorte d’hépatite chez l’animal qui peut se révéler lors d’un stress », explique Catherine Vénineaux, conseillère à la chambre d’agriculture.
Quant aux insecticides, elle rapporte une étude faite par la MSA chez Cédric Ruzzin pendant deux jours, qui a relevé 0,02 mg/kg de résidus après traitement, le seuil considéré comme dangereux étant fixé à 2 mg/kg. Il n’existe pas de recommandation officielle non plus quant à la date à laquelle il faut retirer les animaux des vergers avant la récolte. Mais là aussi, entre 15 jours et un mois avant sont conseillés « afin d’éviter les problèmes sanitaires sur les noix », indique la conseillère.
I. D.
En bref
Le loup ne sautera plus
Les nuciculteurs ont observé une méthode efficace employée par le berger pour protéger les troupeaux de nuit. Ce dernier n’érige pas moins de cinq parcs de nuit autour du troupeau. « Il met des filets tous les deux mètres. Lorsque le loup saute, il ne peut pas reprendre son élan, explique Didier Buisson. Il le fait depuis des années et ça marche très bien ! »
Quelques conditions sont cependant à remplir : avoir un camion chargé de filets, planter dans de la terre meuble et être l’as du parc de contention !
A chacun sa méthode
Le pâturage sous noyers peut être conduit selon différentes techniques : changement de parcs quotidien, tous les 4 ou 5 jours, tous les 15 jours. Les éleveurs et les bergers s’adaptent aussi à la disponibilité de l’herbe. L’objectif peut être d’effectuer deux passages sur une parcelle au printemps. Les parcs peuvent être resserrés pour inciter la coupe rase.
Les brebis sont réputées tout manger, sauf les orties. Il est donc conseillé de protéger les petits noyers dont l’écorce peut être appétente. En irrigation, quelques asperseurs peuvent également faire les frais de la présence des moutons.
Le flux d'azote
Les retours du projet Poscif (pâturage ovins en système céréalier Ile-de-France) montrent que les brebis agissent « comme de mini épandeurs qui transforment la matière ». Leur présence permet de ramener de la matière organique au sol et il est observé que l’herbe repousse mieux. En présence d’animaux, l’azote, qui est restitué sous forme de fécès et de pissats, est mieux assimilable dans le sol. Le pâturage exporte donc autant d’azote qu’il en ramène au sol, mais sous forme différente. Une amélioration des rendements sur culture peut être observée.