Plus de 268 millions de mètres cubes d’eau d’irrigation à répartir
Depuis le 23 août dernier, la chambre d’agriculture de la Drôme est officiellement « organisme unique pour la gestion collective » (OUGC) des prélèvements d’irrigation. Le point sur cette nouvelle mission.

Conçus pour organiser l’usage de l’eau, les organismes uniques pour la gestion collective (OUGC) sont chargés de la gestion et de la répartition des volumes d’eau prélevés pour l’irrigation sur un territoire déterminé. Ils ont été créés par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) du 30 décembre 2006. Chaque OUGC est ainsi le détenteur d’une autorisation unique de prélèvements (AUP) à des fins d’irrigation délivrée par l’État. A charge pour cette structure de répartir entre irrigants ce volume maximum prélevable, en tenant compte des besoins d’irrigation et de la ressource en eau disponible selon un plan de répartition arrêté chaque année.
« L’OUGC Drôme - qui remplace les OUGC autrefois portés par le Sygred(1) - intervient sur plusieurs bassins versants : Bourne, Isère dans sa partie drômoise, Drôme des collines et Galaure, Véore et Barberolles, Drôme, Roubion-Jabron, Berre, Méouge, indique Mathilde Desplanches, conseillère OUGC à la chambre d’agriculture de la Drôme. Son périmètre de gestion dépasse ainsi les frontières drômoises puisqu’il s’immisce aussi un peu en Ardèche, Isère et Hautes-Alpes.
Plusieurs missions
A travers l'OUGC Drôme, la chambre d'agriculture est donc désormais chargée d'organiser la répartition d’un volume d'eau fixé actuellement à plus de 268 millions de mètres cubes (en intégrant le canal de la Bourne). Son action consiste aussi à élaborer des mesures pour une meilleure gestion des étiages, donner son avis au préfet sur tout projet de création d'un ouvrage de prélèvement. « Tout nouveau prélèvement est soumis à l’avis de l’OUGC, souligne Mathilde Desplanches. Aussi, dans le cas des projets d’installation prévoyant des cultures irriguées, il est important que les porteurs de projet nous contactent en amont pour vérifier si l’eau est disponible, conseille-t-elle. En Drôme des collines, ajoute-t-elle, compte tenu du moratoire en cours dans le cadre du Sage(2) Bas Dauphiné Plaine de Valence, il est impossible de créer de nouveaux points de prélèvement. »
Recensement des ouvrages non déclarés
Mathilde Desplanches, conseillère OUGC à la chambre d’agriculture de la Drôme.
« L’OUGC n’est pas la police de l’eau mais un lien entre les irrigants et l’administration », précise Mathilde Desplanches. Près de 5 000 exploitants agricoles inclus dans le périmètre de l’OUGC 26 sont actuellement destinataires d’un courrier co-signé par l’État, la chambre d’agriculture, l’association Adarii (irrigants individuels) et le Syndicat d’irrigation drômois (réseaux collectifs). « Cela s’inscrit dans une campagne de recensement des ouvrages non déclarés de prélèvement d’eau pour l’irrigation, indique la conseillère. Il s’agit de répondre aux obligations réglementaires fixées depuis plusieurs années par la loi (tout ouvrage prélevant plus de mille mètres cubes par an est soumis à déclaration) afin de connaître qui prélève, où et dans quelle ressource. » Les irrigants concernés ont jusqu’au 31 décembre pour régulariser leur situation.
Relevés des compteurs, plan de répartition
L’OUGC 26 assure aussi le suivi des consommations d’eau d’irrigation. « En octobre, nous adressons un courrier qui demande les relevés des compteurs et les besoins de l’année suivante, explique Mathilde Desplanches. Au 1er juin, avant la période d’étiage, nous leur demandons le relevé de leur(s) compteur(s) (le 1er mai pour Roubion-Jabron et Berre). Pour les irrigants du bassin versant de la Drôme, ce relevé est demandé au 15 septembre. Cela permet de réaliser un suivi et un bilan des campagnes d’irrigation et donc de vérifier s’il y a eu ou pas dépassement des volumes autorisés par bassin versant. » Toutes ces données serviront à déposer en préfecture le plan de répartition pour l’année suivante.
Grille tarifaire
Lors de la session chambre d’agriculture du 4 octobre (lire notre édition du 7 octobre), les élus consulaires ont adopté à l’unanimité la grille tarifaire de l’OUGC 26 pour 2021. Celle-ci prévoit une part fixe de 50 € HT par point de prélèvement inférieur à un million de mètres cubes, 350 euros au-delà. La part variable est fixée à 0,0005 € HT par mètre cube annuel autorisé (soit 50 centimes d’euro les 1 000 m³). Pour un préleveur, la redevance maximum est fixée à 13 000 euros HT. « La facturation par l’OUGC 26 se fera dans la continuité du Sygred », assure Mathilde Desplanches.
Christophe Ledoux
(1) Sygred : Syndicat de gestion de la ressource en eau dans la Drôme.
(2) Sage : Schéma d'aménagement et de gestion de l'eau.
« Tout le monde devrait avoir les mêmes contraintes »
Comme beaucoup d’agriculteurs du Nord-Drôme, Christian Nagearaffe, nuciculteur, s’inquiète de la baisse de prélèvement d’eau annoncée et réclame une nouvelle étude sur les volumes prélevables.
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A Montmiral, Christian Nagearaffe cultive principalement 40 hectares (ha) de noyers en appellation noix de Grenoble. 20 sont irrigués par micro-aspersion grâce à un forage dans la nappe de la Molasse. « Le débit maximum de mon forage est de 20 m3 heure. Pour un tour d’eau amenant 30 mm, il me faut entre 16 à 18 jours, se désole-t-il. Mon autorisation de prélèvement est de 19 000 m³ pour mes 20 ha, soit à peine plus de 1 000 m³ à l’ha. Or, pour les noyers, il faut apporter à minima de 2 000 à 2 500 m³ à l’ha. Je ne peux donc pas produire normalement mais seulement sauver mes arbres. » En période sèche, la pérennité de ses noyers est menacée. D’ailleurs, sur ses parcelles non irriguées, un quart des arbres sont déjà manquants.
L’espoir d’une nouvelle étude
Comme d’autres irrigants du Nord-Drôme, Christian Nagearaffe remet en cause l’étude sur les volumes prélevables réalisée en 2014. D’abord « parce qu’elle a été faite à partir de bibliographies, sans relation avec le terrain », dit-il. Ensuite, parce qu’elle ne tient pas compte de prélèvements non déclarés ajoutés plus tard dans l’AUP. « Cela est revenu à mutualiser des prélèvements sans augmenter le volume global, donc tout le monde a été perdant », estime-t-il. Enfin, cette étude de 2014 « ne prend pas en compte les prélèvements domestiques privés, c’est-à-dire les forages et pompages non déclarés de particuliers. Tout le monde devrait avoir les mêmes contraintes », considère-t-il à juste titre. Par ailleurs, « on nous dit qu’il ne faut pas prélever dans nos rivières du Nord-Drôme pour préserver la nappe. Or cet été 2021, très humide, la Savasse était à sec dès la fin des pluies, ce qui prouve que l’étiage de nos rivières est uniquement corrélé à la pluviométrie et non à la nappe souterraine », assure-t-il.
La baisse de 40 % des prélèvements d’eau annoncée dans le Nord-Drôme est une véritable épée de Damoclès pour nombre d’agriculteurs de ce territoire. Il espère qu’avec le soutien de l’OUGC une nouvelle étude sera lancée, selon une approche de terrain.
C. Ledoux
Point de vue / Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme et de l’OUGC26
« Il y a une dizaine d'années, le choix avait été fait de confier au Sygred le portage de l'OUGC. Mais, début 2021, le Sygred a décidé de ne pas poursuivre cette mission. En concertation avec l'association Adarii, le Sid et le Sygred, la chambre d'agriculture, qui n’était pas demandeur, a accepté de reprendre les missions de l'OUGC de façon à garder la main sur ce dossier très complexe mais indispensable pour pouvoir continuer d'irriguer. Cette orientation a été majoritairement approuvé lors de la session chambre du 12 mars dernier.
Aujourd’hui et encore plus demain, nous sommes et serons dans un contexte de tension sur l’eau, et ce quels que soient les usages. La ressource se raréfie et les demandes augmentent. En tant qu’OUGC, la chambre d’agriculture de la Drôme représente désormais collectivement les irrigants. Nous devons rendre des comptes à l’État sur l’usage des volumes d’eau pour l’irrigation. Mais nous sommes aussi amenés à appréhender les nouvelles demandes d’eau, à recenser tous les points de prélèvements.
Malgré le cadre très contraignant fixé par l’État au travers de l’autorisation unique de prélèvement (AUP), l’idée d’une nouvelle répartition des volumes fait son chemin. En effet, l’approche basée sur un historique est obsolète car il semble préférable d’attribuer des volumes en corrélation avec les besoins réels des exploitations. Je tiens cependant à rassurer, tout ne sera pas bouleversé. Notre objectif est bien de sécuriser sur une longue période un volume d’eau pour l’agriculture. »
Propos recueillis par C. L.