Première transformation : en flux plus que tendus
Face à une demande qui peine à être satisfaite, beaucoup s’interrogent sur la disponibilité de la matière première. Éléments de réponse sur le contexte du bois avec Douglas Martin, directeur de Fibois Rhône, et avec Romain Gonnachon, de la scierie éponyme à Saint-Igny-de-Vers dans le Haut Beaujolais (Rhône).

Y-a-t-il une pénurie de bois en France ? Les demandes sont en augmentation, par exemple dans les scieries. Les prix du bois aussi ont été revus à la hausse et les agriculteurs et les particuliers rencontrent d’importantes difficultés pour mener à bien leur projet de constructions en bois. Les transformateurs, eux, ne savent pas où donner de la tête.
« En premier lieu, n’oublions pas que la filière bois est intégrée au commerce international, bien que le circuit court soit évidemment un modèle qui se développe. Autrement dit, ce qui se passe dans le monde a des répercussions sur tous les maillons de la chaîne, aussi petits soient-ils : charpentiers, scieries familiales… Étant un matériau léger, le bois voyage beaucoup et représente 3 % de ces échanges internationaux », tient à préciser Douglas Martin, directeur de Fibois Rhône (interprofession forêt - bois).
Moins de bois disponible en Europe
La forêt française occupe la troisième ou quatrième place en termes de surfaces en Europe et « environ 50 % du bois utilisé en France est importé », ajoute le spécialiste. Au niveau mondial, en revanche, l’échelle change et la production et la consommation de bois de l’Hexagone ne pèsent presque rien face aux deux gros moteurs que sont la Chine et les États-Unis. « La demande intérieure a repris en Chine depuis la sortie de la Covid-19 et les États-Unis ont eux aussi connu un boom dans la demande. À noter par ailleurs que Donald Trump avait instauré des taxes sur le bois en provenance du Canada. Au lieu de protéger le marché américain, la mesure a finalement bénéficié aux plus grosses scieries européennes qui se sont mises à exporter massivement outre-Atlantique et vers l’Asie, d’autant plus à des prix intéressants… Entraînant de ce fait une baisse du bois disponible en Europe. Parallèlement, les particuliers ont été nombreux à lancer des travaux de rénovation ou d’aménagement chez eux (pergola, terrasse…) du fait des confinements. D’autres matériaux que le bois vivent la même situation : demandes accrues et prix plus hauts du fait de l’inflation et de la loi de l’offre et de la demande pour le PVC, la peinture, le cuivre… », poursuit Douglas Martin.
Des commandes qui ont plus que doublé
Ce qui se passe dans le monde a des répercussions sur tous les maillons de la chaîne, aussi petits soient-ils : charpentiers, scieries familiales…
Exemple concret de la situation actuelle : la scierie Gonnachon, installée à Saint-Igny-de-Vers (Rhône), qui emploie dix personnes et dont Romain Gonnachon représente la quatrième génération, a vu ses commandes plus que doubler ces derniers mois. Chaque jour, les appels téléphoniques et les e-mails affluent, obligeant Marion Pageaut, sa compagne, à refuser des demandes. « Nos clients sont essentiellement des charpentiers, des grossistes et revendeurs et des entreprises de rabotage. Nous faisons aussi du bois à palettes. Depuis quelques mois, nous avons dû augmenter notre amplitude horaire pour le sciage, nous sommes ainsi à 110 % de nos capacités. Nous aimerions répondre à plus de sollicitations mais notre carnet de commande est plein jusqu’en octobre et nous devons répondre à nos clients réguliers en priorité », indique le gérant de l’entreprise spécialisée dans les résineux (sapin et douglas).
Des capacités de sciage stables
Comme d’autres entreprises, la scierie Gonnachon évolue avec son temps et réalise des investissements réguliers. « En Auvergne-Rhône-Alpes, les capacités de sciage restent stables ces dernières années. Il ne manque ni la matière, ni les outils, ni les compétences. Ce sont les facteurs mis bout à bout cités précédemment qui expliquent la tension actuelle. Fibois est en train de faire le point sur les problématiques et besoins des acteurs de la filière. Il ressort que ce sont essentiellement des produits assez industrialisés qui manquent (panneaux, lamellés-collés…), les bois de charpentes sont en général disponibles mais à des prix plus élevés (+ 30 %) », poursuit le directeur de Fibois.
De leurs côtés, les professionnels de la filière bois préfèrent rester prudents et ne pas abuser de cette embellie. « On ne sait pas combien de temps va durer cette situation. Le vent peut tourner vite parfois… », conclut Romain Gonnachon.
Emmanuelle Perrussel