« Prévenir les feux de culture, c'est essentiel »
Afin de prévenir les risques d’incendie de culture, le point avec le lieutenant-colonel Nicolas Héritier, chef de groupement gestion des risques au Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de la Drôme.

En tant que pompier, vous souhaitez vous adresser aux agriculteurs. Pourquoi ?
Lieutenant-colonel Nicolas Héritier : « Notre quotidien consiste à faire, d'une part, de la prévention contre les incendies dans les établissements recevant du public, selon une réglementation très précise ; d'autre part, de faire de la prévision des risques sur le territoire quel que soit le type d'événement. Dans les deux cas, il s'agit d'organiser au mieux les secours. Nous agissons également pour la défense de la forêt contre les incendies (DFCI) et c'est dans ce cadre que j'ai rencontré le monde agricole. En effet, nous constatons que le début de saison des incendies et des espaces naturels coïncide avec les feux de culture. Ces derniers sont des signaux faibles. Notre inquiétude est qu'un feu de culture puisse se propager à la forêt. Par ailleurs, lorsque nos moyens de lutte sont immobilisés pour éteindre un feu de culture, ils ne le sont plus pour combattre un feu de forêt. D'où la nécessité de prévenir le plus possible les feux de culture. »
Pensez-vous possible de conjuguer activité agricole et prévention des feux de culture ?
LC N.H. : « Notre objectif est de sensibiliser le monde agricole. J'ai parfaitement conscience que les agriculteurs sont attentifs au risque incendie. Je comprends également leurs contraintes liées à leurs cultures, à la météo, au délai de récolte à respecter… Mais on doit réussir à tous les convaincre de mettre en œuvre des petites actions préventives simples auxquelles tous n'ont peut-être pas pensé plutôt que de voir la récolte brûler.
Nous leur proposons d'essayer autant que possible d'éviter les moissons aux heures qui présentent le plus de danger. En effet, les facteurs qui influent sur le potentiel d'éclosion des incendies sont l’ensoleillement et donc la chaleur ainsi que le taux d'humidité dans l'atmosphère. Ce taux a tendance à beaucoup baisser aux heures les plus chaudes. Ainsi avec un végétal sec comme le blé mûr, une température supérieure à 30°C, un taux d'humidité de l'atmosphère inférieur à 30 % et un vent de 30 km/h, cela amène un fort risque d'éclosion d'incendie. En effet, l'énergie d'activation nécessaire pour démarrer un incendie est bien plus faible que lorsque qu'il y a de faibles températures, de l'humidité et pas de vent. Autrement dit, avec presque rien, le feu démarre. »
Quels sont les risques à connaître ?
LC N.H. : « L’échauffement d'une poulie, d'une courroie, d'un essieu suffit à enflammer une poussière et à faire démarrer un incendie. Aussi, l'entretien et la maintenance mécanique des engins agricoles sont essentiels avant la saison des moissons. Je sais que les agriculteurs y sont attentifs mais il est bon de le rappeler en ayant en tête “le triangle du feu”. Pour allumer un incendie, il faut du combustible, du comburant (oxygène de l'air) et une énergie d'activation (une flamme, une étincelle, un point de chauffe). L'oxygène, on ne peut rien y faire, c'est l'atmosphère dans laquelle nous vivons. En revanche, on peut agir sur l'énergie d'activation. À partir du moment où l'agriculteur travaille dans une culture sensible au feu, il doit savoir qu'il faut très peu d'énergie pour démarrer un incendie. Et cela est encore plus vrai aux heures chaudes. »
Peut-on circonscrire un feu naissant ?
LC N.H. : « Un incendie se propage plus vite dans une culture sur pied que dans une culture coupée. Lorsqu'une parcelle brûle, il faut tout faire pour éviter la propagation du feu aux parcelles voisines. Lorsque la moissonneuse-batteuse entre dans la parcelle, idéalement il faut qu'elle fasse un périphérique en moissonnant d'abord les bordures sur tout le périmètre. Si le feu vient prendre, cela le ralentira et évitera sa propagation. Lorsqu'une habitation est enclavée, là encore, il faut démarrer par un périphérique autour de la maison. Toujours dans cette logique, lorsque la parcelle est très grande, idéalement il faut la diviser en plusieurs parties. À noter, en cas de relief, le feu se déplace plus vite à la montée qu'à la descente.
D'autres conseils aux agriculteurs ?
LC N.H. : « Sur un tracteur, idéalement, il faudrait embarquer un extincteur mousse ou poudre, ou un extincteur polyvalent pour éteindre le feu du véhicule. Et un extincteur à eau pulvérisée pour éteindre le feu naissant sur la culture » (voir encadré). Dès lors que le feu prend de l'ampleur, il faut mettre en sécurité les personnes et le matériel et appeler les secours. Croyez-moi, tout le monde ne connaît pas ce numéro ou ne s'en souvient plus en situation d'urgence et de stress : le 18 ou le 112. À enregistrer dans les téléphones. Un dernier point, si les conditions le permettent, avec une herse ou une déchaumeuse, tout en se tenant à distance de sécurité par rapport au feu, on peut stopper la propagation du feu. Idem avec une tonne à lisier remplie d'eau en attendant l'arrivée des secours. Prévoir également d'accueillir les secours et les guider vers l'entrée de la parcelle. Attention cependant, en 2022 dans le centre de la France, un agriculteur est décédé en voulant éteindre le feu avant l'arrivée des pompiers. Pas un hectare de culture ou de forêt ne vaut une vie humaine. »
Propos recueillis par Christophe Ledoux
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Prévention des feux de culture : ce qu'il faut retenir

Origine des feux : dysfonctionnement mécanique (échauffement de pièce, filtres encrassés, échappement défectueux, problème électrique, usure de pièce, mauvais graissage) ; production d’étincelles suite à un choc de pierre ou un objet métallique ; causes humaines (mégots, travaux, etc.).
Avant la moisson : entretien et maintenance mécanique des engins agricoles ; nettoyage : accumulation de poussières et paillette, graisse sèche ; équiper les engins d’extincteurs 6 kg poudre (feux de véhicule) et d’extincteur 9 litres eau pulvérisée (feu de culture et de récolte) et les contrôler périodiquement ; disposer d'un téléphone (chargé avec batterie externe ou chargeur 5 V) ; prendre connaissance des conditions météorologiques et des conditions de danger (règle des trois 30), privilégier les travaux aux heures fraîches.
Pendant la moisson : présence de herse ou de déchaumeuse pour pare-feu et/ou tonne d’eau avec asperseur type queue de carpe (attention au positionnement) ; laisser libres les accès aux parcelles ; limiter les risques de propagation : coupe périphérique pour protéger les parcelles voisines ou les habitations/bâtiments exposés, diviser la parcelle selon sa surface ; moissonner à contre vent (car en cas de feu, le vent pousse le feu vers la chaume plutôt que vers la culture sur pied).
En cas d’incendie, avoir les bons réflexes

- Utiliser immédiatement un extincteur sur tout feu naissant (poudre sur engin, eau pulvérisée sur culture ou récolte).
- Mettre en sécurité les personnes et le matériel.
- Alerter les secours en composant le 18 ou le 112.
- Limiter la propagation en réalisant un pare-feu avec herse ou déchaumeuse (tout en ne mettant pas en danger les personnes) et/ou en humidifiant le pare-feu à l’aide de la tonne d’eau.
- Accueillir et guider les secours.
Lors de l'appel, préciser la localisation du feu (commune, quartier et lieu-dit), ce qui brûle (type de véhicule, type de végétation, surface en feu, surface menacée), les enjeux humains, bâtiment, matériel.
Extincteurs : ce qu'il faut retenir
- Extincteur à eau pulvérisée avec additif pour les feux de classe A (papier, bois, cartons), de classe B (solvants, huile, essence, graisse, cire, plastique, batterie lithium), parfois adapté aussi aux feux de classe C (gaz naturels, GPL, butane, propane) : on parle d’extincteur à eau pulvérisée polyvalent A, B ou A, B, C. C’est l’appareil à avoir dans les locaux de stockage, dans le véhicule pour traiter un départ de feu de type chargement de paille.
- Extincteurs poudre ou mousse ABC, adaptés pour les feux de véhicule, matière type graisse, huile, carburant.
- Extincteurs poudre ABC ou CO2, adaptés pour les feux avec une présence d’électricité : locaux électriques, tableau électrique, local technique avec appareils électriques.
Incendies de forêt : un site pour connaître le niveau de danger
Un site internet grand public permet d’interpréter le niveau de danger par rapport aux consignes d’accès dans les massifs forestiers drômois par secteur. Ce dispositif est actualisé deux fois par jour (9 h et 17 h) durant la saison à risques (de juin à septembre). Les zones deviennent particulièrement sensibles lorsqu’elles sont en orange et rouge.