Prix du lait : du mieux annoncé pour 2023
Alors qu’à partir du 1er janvier 2023, la prise en compte des coûts de production sera obligatoire dans la filière laitière conformément à la loi Egalim, avec des charges qui explosent, on est encore loin du compte. De l’aveu des responsables professionnels et des acteurs de la filière, les mois prochains seront décisifs.

Depuis octobre, les négociations entre les organisations de producteurs, les industriels et les coopératives de la filière laitière vont bon train. Et autant dire que le temps presse, avec des charges alimentaires et énergétiques qui explosent, les producteurs de lait ont besoin de visibilité. « Certes, le prix du lait a été revalorisé ces derniers mois, mais pas à la hauteur du prix de revient. Ce que nous avons cranté sur le prix du lait a été totalement balayé par l’inflation », constate Sabine Tholoniat, productrice de lait bio dans le Puy-de-Dôme, et présidente de la FNSEA 63. Après le groupe Lactalis, c’est la stratégie de la coopérative Sodiaal qui est interrogée par les éleveurs. Deux acteurs majeurs de la collecte laitière française. Le médiateur des relations commerciales a été saisi afin de mener « une expertise sur les coûts et les prix », proposés par Sodiaal. L’audition d’autres coopératives a été réalisée dans le cadre de cette enquête, dont les conclusions sont attendues début 2023.
Marché à l’export
En attendant, le prix moyen du lait était de 478 euros la tonne fin novembre, avec des écarts sensibles selon les opérateurs. Pas de quoi couvrir les charges, selon Stéphane Joandel, président de la section régionale laitière de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes : « Le prix est déconnecté de la réalité économique. Il faudrait a minima atteindre les 500 euros pour nous permettre de vivre ». Le conseil d’administration de Sodiaal a annoncé à ses adhérents, début décembre, un prix du lait à 420 euros/1 000 litres en décembre et à 483 euros/1 000 litres (prix A de référence hors saisonnalité) en janvier 2023, tandis que d’autres opérateurs ont déjà avancé des prix au-dessus des 500 euros/1 000 litres. Mais comment expliquer ces écarts ? Cela relève a priori de choix de marchés. La coopérative Sodiaal est moins présente à l’export. Or, c’est ce marché mondial qui tire la hausse des prix actuellement, avec un emballement depuis la Covid-19, autour du beurre et de la poudre.
Sodiaal veut accélérer
« Au niveau de Sodiaal, nous nous sommes toujours positionnés sur des marchés valorisés les moins volatiles possibles. Plus globalement, la filière française n’est pas capable de gérer cette volatilité », insiste Damien Lacombe, président de Sodiaal. Si le producteur aveyronnais concède que les hausses de tarif du lait payé aux producteurs sont aujourd’hui insuffisantes, il veut rassurer les troupes sur les perspectives : « On est dans une logique de montée en puissance des hausses de tarif. Depuis deux ans, nous avions un objectif de 500 millions d’euros de hausse sur nos ventes, on a obtenu 470 millions. Pour les deux ans à venir, nous souhaitons aller chercher 900 millions d’euros de hausse sur tous nos marchés. C’est colossal, mais c’est notre objectif. Nous avons l’intention d’obtenir rapidement, dès le début d’année, des hausses de tarifs en phase avec l’inflation. Les GMS devront suivre ».
Coût de production versus indice Ipampa
À ce stade, le point d’achoppement entre producteurs et industriels tient, entre autres, dans la méthode de calcul. Quand les éleveurs parlent de coût de production et indicateurs interprofessionnels (voir encadré), seuls indices reconnus par la loi Egalim, les industriels leur rétorquent indice Ipampa. Un indice de prix d’achat des moyens de production agricole qui mesure les variations des prix d’achat supportés par les exploitations agricoles pour leurs intrants de production et leurs dépenses d’investissement, mais dont est exclue la rémunération de l’éleveur. « Leurs arguments sont toujours les mêmes : la production industrielle a des charges à faire passer. Ils n’ont plus le droit de négocier la matière première, donc ce qui joue c’est la matière première industrielle (emballage, transport, énergie, personnel…) », estime Sabine Tholoniat. En attendant, les semaines passent et la production laitière décroche. « Nous avons perdu un milliard de litres de lait. Gérer du moins n’a jamais été une stratégie d’avenir. Jusqu’à quel point va-t-on fragiliser le tissu laitier de nos zones car derrière, ce sont des hommes et des femmes, des emplois, des produits de qualité, de la souveraineté alimentaire, des savoir-faire, du tourisme… », s’inquiète la productrice. Sur ce point, Damien Lacombe se veut rassurant : « la coopérative collecte le lait de tous ses adhérents. En dix ans, nous avons mené un travail de restructuration énorme. On a travaillé sur nos coûts, sur la recherche de valeur ajoutée, qui restera notre objectif premier pour l’avenir, c’est grâce à cela et en travaillant sur la vivabilité du métier que nous assurerons le renouvellement des générations d’éleveurs ».
Données moyennes nationales annuelles selon le type d’exploitation laitières
Sophie Chatenet
Coût de production et prix de revient
En application du plan de filière, le Cniel a mis en place un observatoire national des coûts de production du lait de vache en France visant à produire des références nationales annuelles de coût de production (CP) et de prix de revient (PR) pour quatre types d’ateliers laitiers (conventionnel plaine, conventionnel montagne, bio de plaine et bio de montagne) en s’appuyant sur des données mises à disposition par des centres de gestion et organismes de conseil en élevage et sur un appui technique de l’Institut de l’élevage. L’objectif de l’observatoire est de fournir des références concernant l’année N en novembre N+1 (voir tableau ci-contre). La méthodologie a été validée en 2019 avec les familles du Cniel et notifiée avec le tableau de bord des indicateurs à la Commission européenne qui a donné un avis favorable en décembre 2019. Le coût de production (CP) est la somme des charges mobilisées pour l’atelier lait. Il inclut des charges réelles constatées (opérationnelles et de structure), des amortissements et une rémunération forfaitaire des facteurs de production, notamment la main-d’œuvre des exploitants à hauteur de deux Smic par unité de main-d’œuvre dédiée à l’atelier lait, tel que validé par les collèges de l’interprofession. Le prix de revient (PR) est la différence entre le coût de production de l’atelier lait et le montant des aides et des autres produits affectés à cet atelier. Il constitue un point de comparaison avec le prix du lait à teneur réelle. Ces indicateurs sont calculés à partir de la méthode de référence nationale Couprod, développée par l’Institut de l’élevage. Ils ont été mis à jour fin novembre. Les indicateurs publiés cette année sont issus de clôtures d’exercices (12 mois) comprises entre juillet 2021 et mars 2022. L’inflation que les exploitations subissent depuis avril 2022 n’est pas prise en compte dans les indicateurs 2021. Ces indicateurs sont exprimés en recette laitière, pour les convertir en prix de base (38 - 32) il faut soustraire 15 euros. Ces indicateurs sont utilisés dans les contrats (formule de prix) entre les OP et leurs laiteries, dans les règlements intérieurs des coopératives, et également dans les négociations commerciales entre les industriels et la grande distribution.