Accès au contenu
SANITAIRE

Prospecter la sharka pour s’en prémunir

Si le virus de la sharka est présent depuis 1970 en France, les arboriculteurs s’inquiètent de son évolution en Auvergne-Rhône-Alpes. Les responsables professionnels de la filière régionale alertent sur une potentielle recrudescence de la maladie : ils appellent chacun à prendre leurs responsabilités quant à la déclaration des nouveaux vergers et de nouvelles contaminations, afin de pouvoir garantir une prospection efficace sur tout le territoire.

Prospecter la sharka pour s’en prémunir
© Archives FDGdon Drôme

Aussi appelée plum pox virus, la sharka est une maladie des arbres fruitiers à noyau. Cette dernière est présente dans la plupart des pays producteurs européens et dans le monde. Sans danger pour l’homme et les animaux, le virus peut néanmoins altérer la qualité des fruits (non sucrés, spongieux) et ainsi les rendre impropres à la commercialisation. Le virus fait l’objet d’une surveillance particulière en France, même s’il n’est plus considéré comme organisme nuisible de catégorie 1 depuis quelques années. 

Un parasite difficile à contrôler 

Régis Aubenas, arboriculteur dans la Drôme, responsable de la section fruit à la FDSEA et membre du comité stratégique fruit Auvergne-Rhône-Alpes (CSF), ne cache pas son inquiétude face à la situation : « le virus se propage par deux voies, soit par introduction de matériel contaminé (plants, greffons) sur le territoire, soit par les pucerons. Il existe une quarantaine de pucerons vecteurs de la maladie, ce qui fait de la sharka un parasite violent et difficile à combattre », explique le producteur. Pour lui, le seul moyen de garder la situation sous contrôle reste de conserver la pression la plus faible possible sur tout le bassin fruitier. Les arboriculteurs conservent en effet un souvenir amer des années 1990 et 2000 : la maladie, une fois apparue, s’était très rapidement propagée sur tout le verger, notamment en région. Le seul moyen de lutte des producteurs restait, après repérage, l’arrachage de tous les arbres atteints. Jusqu’en 2020, le virus a ainsi été classé « organisme de quarantaine », une classification impliquant des mesures obligatoires de déclaration et de lutte systématique contre la maladie dans les cultures fruitières. Dès lors, le 1er janvier 2020, un nouveau règlement européen a modifié ce statut, passant à celui d’organisme réglementé « non de quarantaine ». La responsabilité de cette lutte repose donc davantage sur les producteurs eux-mêmes, pour garantir la qualité sanitaire des vergers. « Les pays européens n’ayant pas tous les mêmes normes de surveillance du virus, les importations de plants sont risquées, explique Régis Aubenas. La majorité du matériel contaminé provient de pépinières italiennes. Les plants sont deux fois moins chers, certes, mais ne respectent pas systématiquement la norme des végétaux sains et loyaux. Je souhaite alerter la profession sur ces risques, les pertes économiques que cela engendre, et les inviter à privilégier les pépiniéristes français », assure le producteur, avant d’ajouter : « ces plantations se développent de manière importante en France, 
notamment depuis deux ans. Des arboriculteurs observent des contaminations dès la plantation. Nous avons notamment eu un cas dans le sud de la Drôme, à Donzère, avec plus de 80 % de plants malades. Tout en sachant qu’aujourd’hui, l’on considère qu’au-delà de 10 % d’arbres contaminés sur une parcelle, la maladie n’est pas maîtrisable ».

Prospecter pour sécuriser

« Je suis actuellement installé sur une exploitation indemne de sharka. Si nous sommes touchés, nous ne le savons pas, raison pour laquelle nous tirons la sonnette d’alarme », amorce Jean-Philippe Banc, producteur de fruits à noyau à Larnage (Drôme) et président de Jeunes agriculteurs (JA) du canton de Tain l’Hermitage. Le producteur souhaite alerter et sensibiliser ses pairs quant à l’importance d’effectuer de l’auto-contrôle,  notamment sur les trois premières années du verger. « Le virus ne s’exprime pas de la même manière d’une espèce ou d’une variété à une autre », précise-t-il. 
« En attendant que des solutions concrètes soient mises en place, telles que des contrôles sanitaires supplémentaires, le renforcement des passeports phytosanitaires européens, davantage de traçabilité… les arboriculteurs doivent être particulièrement vigilants sur l’auto-prospection. Nous souhaitons compter sur leur professionnalisme et leur rigueur », explique Jean-Philippe Banc. Ce dernier est rejoint par Aurélien Gayet, président de la Fredon Auvergne-Rhône-Alpes (fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) et arboriculteur dans le Rhône : « une bonne partie du verger rhônalpin, davantage concerné que l’Auvergne, n’est plus prospecté régulièrement. L’inventaire de la Fredon n’est donc plus à jour, les zones contrôlées autour des zones contaminées se limitent également à 300 m, contre 1,5 km auparavant. Compte tenu de la situation, il est désormais indispensable de déclarer ses plantations et d’effectuer de l’auto-prospection. Le bassin fruitier est un bien collectif, il convient donc d’agir collectivement pour éviter toute catastrophe », assure-t-il. Pour cela, les professionnels de l’arboriculture souhaitent informer et sensibiliser les producteurs de fruits à la reconnaissance de la sharka sous ses différentes formes. Plus précisément, ils envisagent de mettre en place un dispositif de contrôle, de sécurisation des vergers et du territoire, notamment à l’aide d’un programme sanitaire d’intérêt collectif (PSIC). Ce travail, qui représente un investissement humain et financier important, sera cofinancé par l’État et la profession. Le dispositif souhaite inclure les moyens juridiques nécessaires pour effectuer un réel travail de prospection, mais également pour obtenir une indemnisation en cas de contamination, relative à une obligation d’arrachage de tous les arbres atteints.  

Charlotte Bayon

Fredon Aura

Reconnaître la sharka 

Amaury Guillet, responsable technique en arboriculture fruitière à la Fredon, fait un point régional sur les foyers de sharka : « ils se trouvent notamment au nord de Valence (Drôme), autour de la commune de Châteauneuf-sur-Isère, ou encore le long de la vallée du Rhône et dans le nord de l’Ardèche et de la Drôme. Nous prospectons actuellement 2 780 hectares en région, second passage compris. Ce chiffre correspond à 30 % de ce que l’on connaît, précise-t-il. Cette année, l’on compte 1 842 arbres contaminés par la sharka en région. Nous restons sous la barre des 2 000 depuis 2019. Cela semble peu, mais ce maintien est dû à la prospection qui continue et au nombre de surfaces arrachées qui ont permis de réduire les zones victimes de la sharka », explique-t-il. Malgré tout, les contaminations ont augmenté de 25 % entre 2022 et 2024. Une raison supplémentaire pour prospecter attentivement ses vergers. 

Différentes manifestations

« La sharka s’observe à plusieurs stades végétatifs de l’arbre. Certaines variétés de pêchers, en période hivernale, laissent apparaître des anneaux, en forme de donut, d’une couleur plus foncée que le rameau. Ce symptôme est propre à certaines variétés de pêchers », explique -t-il. « Sur ces mêmes variétés, les symptômes apparaissent en fin de floraison : avec des tâches roses, violacées, sur le rose clair du pétale ». Une information pertinente à connaître pour les producteurs, puisqu’en période hivernale ou de floraison, les pucerons ne volent pas. « Cela permet donc d’évacuer les arbres contaminés en début de saison », précise le spécialiste. Entre le début du mois de mai et la fin du mois de juin, il est fréquent d’observer des symptômes sur feuilles : « appelées flammèches, ou dentelles, ce sont des décolorations situées le long des nervures secondaires des feuilles, qui peuvent également avoir la forme d’anneaux ». Certains symptômes sont plus discrets, difficiles à percevoir ou à interpréter. D’autant plus que la sharka est un organisme nuisible et thermosensible (ou thermolabile) : les manifestations physiques de la maladie peuvent apparaître et disparaître selon les températures. « Cela ne signifie donc pas que le virus a disparu. Il ne s’exprime simplement pas pendant une période donnée », ajoute Amaury Guillet. Autant de situations complexes qui poussent la profession à sensibiliser les arboriculteurs, pour une lutte collective et efficace.

Charlotte Bayon

Symptômes de sharka