« Si notre projet échoue, tous les autres échoueront »
Le projet de réutilisation des eaux usées traitées (Réut) dans la vallée de la Drôme a franchi une nouvelle étape avec l'achèvement des études. Le point avec Yannick Régnier, directeur de l'association Biovallée.

Une réflexion sur la réutilisation des eaux usées traitées (Réut) dans la vallée de la Drôme a débuté en 2020. Dans quel contexte ?
Yannick Régnier : « Compte-tenu des besoins en eau pour l'agriculture et des contraintes de prélèvement dans la rivière Drôme, l'idée de réutiliser les eaux traitées par les stations d'épuration a pris forme en 2020. Depuis, en partenariat avec le Syndicat mixte de la rivière Drôme (SMRD) et l’Inrae, l'association Biovallée anime une réflexion regroupant une quarantaine de partenaires (État, collectivités locales, chambre d'agriculture, syndicat d’irrigation drômois, Véolia, Suez, agriculteurs…). Le principe consiste à stocker les eaux usées traitées l'hiver pour les réutiliser en période estivale sur les cultures. Trois stations d'épuration ont été identifiées par le cabinet d'études Ecofilae : celles de Crest, d'Allex-Grâne et de Luc-en-Diois pour un peu plus de la moitié des volumes annuels d’eaux usées traitées, le reste étant rejeté à la rivière pour soutenir son débit d'étiage en période estivale.
L'objectif est d'apporter des bénéfices à la fois pour l’environnement (respect du débit réservé, substitution aux prélèvements dans la rivière) et l’agriculture (sécurisation de l’irrigation en période de restriction des prélèvements). »
Les montants à investir pour réutiliser les eaux traitées ont-ils été identifiés ?
Y. R. : « Pour la station de Crest, deux scénarios ont été établis. Le premier à 150 000 m³ d'eau réutilisés nécessite 175 000 € d'investissements sur la station (coût supplémentaire de traitement de l'eau) et 47 000 € par an de surcoût d'exploitation dont un tiers pour des analyses d'eau réglementaires. Le second, qui porte sur 300 000 m³ d'eau réutilisés, nécessite 1,2 M€ d'investissements et 120 000 € par an de surcoût d'exploitation. Soit un coût de revient subventionné de 0,34 € et 0,46 €/m³ pour l'un et l'autre des scénarios.
Pour Allex-Grâne, l'investissement représente 2,6 M€ et le surcoût d'exploitation 50 000 € par an pour un volume de 106 000 m³. Et pour Luc-en-Diois, 800 000 € d'investissements et 8 800 € par an de surcoût d'exploitation pour 40 000 m³. »
Et pour le stockage ?
Y. R. : « Pour Crest sud, l'étude porte sur un total de 600 000 m³ stockés, une partie étant les eaux usées des stations et l'autre des prélèvements hivernaux dans la rivière. Cela représente 11,4 M€ d'investissements ainsi que 4,4 M€ pour l'adaptation du réseau. Trois sites représentant 1 à 2% de la surface agricole utile ont été identifiés mais ne sont pas sécurisés sur le plan foncier. Le foncier est une condition de réalisation du projet Réut. »
Le 14 janvier à Eurre s'est tenu le dernier comité de pilotage de restitution des études. Pensez-vous qu'après ces cinq années de réflexions le projet puisse désormais avancer concrètement ?
©Biovallée
Y. R. : « De nombreuses étapes restent à franchir, deux freins importants étant la réglementation et le financement des investissements de stockage. Sur le plan réglementaire, un décret paru le 29 août 2023, pris dans le cadre du Plan eau, est venu apporter de la clarté dans la procédure d’autorisation des projets de Réut. Mais ça ne règle pas tout, loin de là, notamment sur le plan sanitaire. L'État nous assure que chaque difficulté sera étudiée pour être levée. Il est clair que des assouplissements et de l'agilité seront nécessaires. Quant aux moyens financiers, il faut que l'Agence de l'eau priorise les projets de Réut sans quoi rien n'avancera. Enfin, les élus locaux doivent prendre le relai sur le projet. Ils sont motivés, même si ce n’est pas simple. L'association Biovallée continuera à accompagner les acteurs locaux lors de réunions de terrain. »
Avez-vous bon espoir dans l'aboutissement ?
Y. R. : « Les études sont maintenant terminées, l'acceptabilité du projet est renforcée, il faut passer à l'action. Si notre projet se crashe, tous les autres se crasheront. On essuie donc les plâtres. Je rappelle qu'en 2023, lors de la présentation du “Plan eau” par le président de la République, un objectif de 1 000 projets de Réut a été donné sur l’ensemble du territoire d'ici 2030. Aujourd'hui, dans la vallée de la Drôme, nous sommes impatients et les agriculteurs les premiers. »
Propos recueillis par Christophe Ledoux
Des financeurs publics et privés
L’association Biovallée impulse des projets innovants au profit de la transition écologique en vallée de la Drôme. C'est à ce titre qu'elle porte l'étude sur la réutilisation des eaux usées traitées (Réut). L’élaboration d’un schéma d’économie circulaire de l’eau fait partie des actions inscrites dans le contrat Territoire d’innovation signé entre l’association Biovallée et l’État en 2020. Le financement des différentes études a été ainsi assuré à moitié par l’État et complété par le Département de la Drôme, les communautés de communes du Val de Drôme, du Crestois et du Pays de Saillans, les pépinières Veauvy, les entreprises Veolia, Suez, ADP Group et la fondation Domorrow.