Une agriculture sans agriculteurs ?
À l’heure du grand défi démographique de la ferme France, le sociologue François Purseigle, invité à l’assemblée générale de la MSA Ardèche-Drôme-Loire, est venu présenter les nouvelles formes d’entreprises agricoles à l’œuvre.

Avec 1,5 % de la population active, « jamais nous n’avons eu aussi peu de chefs d’exploitations agricoles, constate le sociologue François Purseigle. Et dans dix ou quinze ans, nous serons sous la barre de 1 %. » Pour montrer l’ampleur du défi démographique auquel est confrontée l’agriculture française, il évoque les 196 186 chef(fe)s d’exploitation susceptibles de prendre leur retraite d’ici 2030, alors qu’aujourd’hui on ne compte que 13 000 installations (dont 4 800 aidées) pour 20 000 départs. « L’exercice du métier d’agriculteur est de moins en moins familial, on assiste à la fin de l’agriculture conjugale, analyse-t-il. Ce modèle d’exploitations agricoles - où l’on retrouve deux équivalents temps plein (ETP) de la même famille - décline fortement depuis 2010. »
Trois stratégies
Après l’agriculture « patriarcale » de la 3e République, l’agriculture « conjugale » de la Révolution silencieuse, l’agriculture française entre « dans une nouvelle phase », constate François Purseigle dans son dernier ouvrage* co-écrit avec Bertrand Hervieu, également sociologue. « On assiste à un éclatement des formes d’organisation, observe François Purseigle. L’activité de production agricole se tertiarise avec de nouvelles stratégies. » Le chercheur en évoque trois : l’association, l’insertion et la délégation. Dans la première (association), l’exploitant agricole privilégie une gouvernance partagée en entretenant de nouvelles relations avec ses voisins : assolements communs, projets collectifs… Dans la seconde (insertion), il se développe en embauchant lui-même ses salariés, en intégrant de nouveaux métiers et nouvelles activités, en créant plusieurs sociétés. La gouvernance est hiérarchique et le travail familial minoritaire. Enfin, la troisième stratégie (délégation ou sous-traitance) concerne l’agriculteur ne souhaitant plus faire tout ou partie des travaux lui-même.
Inventer une nouvelle attractivité
« Ces stratégies prendront une ampleur différente selon les filières et les régions », poursuit François Purseigle. Parfois, elles coexistent au sein d’une même exploitation. « La sous-traitance sera davantage présente chez les céréaliers, précise-t-il. La déprise de l’élevage dans certaines zones intermédiaires devrait probablement l’accélérer. » La stratégie d’insertion est déjà à l’œuvre en viticulture et en arboriculture. Il cite l’exemple de la Gironde où l’essentiel du travail est réalisé par des salariés embauchés de plus en plus par des entreprises de prestation.
« Le premier adversaire de l’agriculture familiale, c’est la famille, poursuit François Purseigle. Les nouvelles générations d’agriculteurs rejettent la confusion des sphères familiale et professionnelle. Ils veulent concevoir de la valeur - pour leur entreprise, leur travail, leurs produits - autrement. Ils ne veulent plus tout faire mais pouvoir arbitrer. C’est un basculement. »
Le sociologue invite les organisations agricoles et les politiques publiques à se réinventer. « On ne peut plus fonctionner en 2022 comme il y a cinquante ans, assène François Purseigle. Il faut apporter aux repreneurs une nouvelle attractivité du métier d’agriculteur, avec des entreprises porteuses d’une multitude de projets. Tout se complexifie mais cela ouvre de belles perspectives. »
Christophe Ledoux
* Le second ouvrage des sociologues Bertrand Hervieu et François Purseigle, sorti le 20 octobre, s’intitule « Une agriculture sans agriculteurs » (éd. Presses de Sciences Po).