Valgrain en pleine tempête géopolitique
En assemblée générale, mercredi 11 décembre, la coopérative de semences Valgrain a axé son bilan autour de la géopolitique mondiale.

Qui dit assemblée, dit bilan de l’année. La coopérative Valgrain n’échappe pas à la tendance à la baisse des surfaces de maïs : de 1 006 ha en 2022, 951 ha en 2023 à 708 ha en 2024… Et 700 ha prédits en 2025. Même si les résultats techniques évoluent, le marché reste saturé pour écouler les stocks à l’étranger. L’assemblée générale, organisée mercredi 11 décembre à la salle de réception InSitu à Beaumont-lès-Valence, s’est voulue pédagogique pour les adhérents de la coopérative avec comme axe principal : la tempête géopolitique qui touche le monde des semences. « L’agriculture française subit les cours mondiaux, déplore Nicolas Crouzon, président de Valgrain. Nous sommes gelés par le monde ». De sombres perspectives pour les semenciers mais une coopérative qui cherche toutefois à relever les défis.
« Nous roulons dans le brouillard »
Les grandes cultures souffrent particulièrement du contexte géopolitique mondial. Depuis février 2022, les sanctions de l’Europe sur la Russie ont entraîné la fermeture des frontières vers ce pays, grand importateur de semences de grandes cultures. Pour le tournesol, la Russie détient dix millions d’hectares de surfaces. Ce pays s’apprête à produire ses propres semences pour atteindre une souveraineté alimentaire avec un « détournement de génétique, c’est sûr », prévoit Yannick Chassaing, administrateur de Limagrain et de Valgrain. Le commerce des semences potagères se heurte quant à lui au conflit israélo-palestinien. « La France ne vit pas dans un tupperware. Nous subissons la géopolitique au quotidien », conclut Yannick Chassaing. Des propos appuyés par ceux de Nicolas Crouzon : « Au niveau des rémunérations, c’est un impact mondial. Nous n’avons pas du tout les mêmes charges que certains grands pays. Nous sommes complètement déconnectés de la Russie, de l’Ukraine et des pays du Mercosur ».
De nombreux adhérents avaient fait le déplacement pour l'assemblée générale. ©ME-AD26
La coopérative Limagrain tente toutefois de s’implanter sur d’autres territoires. Toutefois, en Amérique du Sud et en Amérique du Nord, les semences françaises se confrontent aux valeurs de « territoires OGM ». Constat similaire en Afrique du Sud mais la coopérative tente de s’associer à Seed Co, une entreprise d’Afrique australe installée sur place. Peu de place en Asie, un « territoire très segmenté ». Yannick Chassaing ne cache pas son inquiétude. « Les prochaines années vont être compliquées. Nous nous mettons en ordre de bataille pour faire face à la tempête. Nous roulons dans le brouillard et nous devons ralentir la vitesse ».
Perspectives et enjeux
Une perspective se dessine autour de la construction de Limagrain à l’international pour « ramener de la valeur sur nos territoires ». Autre enjeu : la recherche. Le groupe Limagrain entend investir 311 millions d’euros pour développer la production de semences. Les aléas climatiques, la gestion des altises et les ravageurs contraignent les semenciers. « Les ravageurs du colza au niveau des altises, c’est très compliqué. Nous avons subi des pertes conséquentes cette année. Nous avons dû abandonner pas mal de cultures. On nous enlève beaucoup de produits pour lutter contre les mauvaises herbes et les ravageurs...Ce qui est compliqué pour être compétitif par rapport aux pays qui, eux, utilisent des produits non autorisés en Europe », regrette Nicolas Crouzon.
Pour Valgrain, attirer de jeunes adhérents reste un objectif sur le long terme. « La production de semences attire de moins en moins. Les producteurs sont vieillissants. De moins en moins de jeunes se lancent parce qu’il faut trouver de la main-d’œuvre pour les épurations. Ce qui est de plus en plus contraignant. Pour trouver du personnel, c’est vraiment très très difficile. Le matériel est toujours plus cher, c’est du matériel spécifique pour ces cultures et ça impacte les exploitations », énumère le président de Valgrain.
Morgane Eymin
Semae redonne le contexte géopolitique
« Le système semencier reste ouvert sur le monde », expose Béatrice Petit. ©ME-AD26
Pour s’imprégner du contexte géopolitique, les adhérents de Valgrain ont pu compter sur l’intervention de Béatrice Petit, déléguée régionale Sud-Est du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Semae). L’insécurité alimentaire augmente dans le monde en raison de trois facteurs : les conflits, le changement climatique et les crises sanitaires. L’occasion de rappeler la différence entre sécurité alimentaire et souveraineté alimentaire. Le premier terme ne concerne pas « qu’une question de production mais aussi l’accès à une nourriture de qualité ». Le second fait référence à la gestion des dépendances et des interdépendances à ne pas confondre avec l’autonomie ou l’autosuffisance. Béatrice Petit rappelle que les semences ont un impact direct sur l’approvisionnement de nourriture dans le monde.
Une note optimiste importante à souligner : la France reste leader mondial des semences en grandes cultures. À noter, le pays exporte 70 % de ses productions vers l’Union européenne. La déléguée de Semae appuie sur l’importance de renouveler les effectifs de la filière, pointant une baisse de 6 % d’agriculteurs multiplicateurs en France entre 2019 et 2023. « Le système semencier reste ouvert sur le monde », expose Béatrice Petit. Repenser les stratégies des entreprises pour être plus résilient ? Développer une souveraineté à l’échelle de l’Union européenne ? Les conflits géopolitiques en cours, notamment entre l’Ukraine et la Russie, ont « révélé la dépendance de notre modèle à l’Ukraine et au marché russe ». C’est dans ce cadre que l’AGPM maïs semence a demandé l’activation d’une clause de sauvegarde à l’encontre des semences de maïs ukrainiennes. De son côté, l’Ukraine « fait des efforts pour se rapprocher des critères de l’Union européenne », conclut l’intervenante.
Les prévisions maïs, tournesol et colza
Si les surfaces de maïs dégringolent, celles du tournesol repartent à la hausse en 2024. Toutefois, « au niveau des rémunérations, ça stagne », rapporte Nicolas Crouzon. Pour le colza, les données sont stables, avec de très bons résultats techniques et des prix qui ont légèrement augmenté cette année. Après une chute des produits bruts du maïs en 2022 et un pic des cours en 2023 dû au contexte géopolitique, les prix redescendent en 2024. Le tournesol affiche des produits bruts plus aléatoires avec une envolée des prix en 2022 et une rechute en 2024. Bilan plus positif pour le colza, avec une « très bonne année » et des résultats techniques qui atteignent « un record en 2024 » avec 116 % de réussite contre 101 % en 2023. Pour 2025, la coopérative prévoit des résultats assez similaires, une baisse pour le tournesol (de 1 280 ha en 2024 à 900 en 2025) et une hausse pour le colza malgré les altises qui ont affecté les semis.